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Fabriquant d’éléments de construction hors site : la possibilité d’une action directe contre le maître d’ouvrage en cas d’impayés. Par Aziliz Gautier-Guegan, Avocate.
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Parution : jeudi 31 octobre 2024
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Grâce à une jurisprudence très argumentée de la Cour d’appel de Versailles [1], les fabricants d’éléments de construction hors site peuvent désormais savoir s’ils ont la qualité de vendeur ou de constructeur, auquel cas ils ont tout intérêt à se placer sous le régime protecteur du sous-traitant.
Le secteur de la construction hors site qui inclut le préfabriqué et la construction modulaire est un domaine en pleine croissance tant en France qu’à l’international. La définition de la préfabrication a même été codifiée à l’article L111-1, 15° du Code de la construction et de l’habitation. Ce procédé permet de fabriquer en usine une part importante des éléments d’un ouvrage qui seront ensuite assemblés sur site. Outre les avantages de réduction des coûts, de rapidité et d’amélioration de la qualité du bâti et des conditions de travail, ce mode de construction est également plus durable que la construction traditionnelle puisqu’elle permet notamment, de réduire l’impact carbone du projet, la consommation d’eau et les déchets.
D’un point de vue juridique, le fabricant d’éléments préfabriqués peut revêtir soit la qualité de vendeur ou fournisseur, soit la qualité de constructeur. En d’autres termes, la commande d’éléments préfabriqués peut être qualifiée de contrat de vente ou de contrat d’entreprise. Il en résulte nécessairement un régime juridique distinct.
Par un arrêt du 13 juin 2024 [2], la Cour d’appel de Versailles a justement eu l’occasion de développer une argumentation particulièrement détaillée sur les critères permettant de déterminer la qualité du fabricant d’éléments préfabriqués.
Dans cette affaire, un maître d’ouvrage a commandé des éléments en béton préfabriqués à une société de droit espagnol. Cette société a elle-même commandé auprès d’une société française, la fabrication de murs précoffrés et de prédalles.
Face à un impayé de la part de la société espagnole et à la mise en liquidation judiciaire de cette dernière, la société française a demandé le paiement de ses éléments préfabriqués d’une valeur de 193.258,01 euros directement au maître d’ouvrage. Sa défense consistait à dire que le contrat la liant à la société espagnole était un contrat de sous-traitance régit par la loi du 31 décembre 1975 [3], grâce auquel elle bénéficiait d’une action directe en paiement à l’encontre du maître d’ouvrage. Ainsi, selon elle, son contrat était un contrat d’entreprise (ou contrat de louage d’ouvrage).
A l’inverse, le maître de l’ouvrage avait tout intérêt à ce que le contrat soit qualifié de contrat de vente puisque cela lui permettait d’échapper à l’action directe du sous-traitant, et d’éviter le paiement de 193.258,01 euros.
Avant de développer ses critères de distinction, la cour d’appel a indiqué en des termes généraux que :
« La qualité de sous-traitant n’est pas subordonnée à l’intervention de l’entreprise sur le chantier, ni à sa participation au montage des éléments fabriqués, mais à la spécificité du travail confié.
Il n’y a pas vente mais contrat d’entreprise et donc sous-traitance dès lors que le professionnel est chargé de réaliser un travail spécifique en vertu d’indications particulières, ce qui exclut toute possibilité de production en série ».
Elle a ensuite précisé que le fabricant est un vendeur (ou fournisseur) dès lors, notamment, que :
A l’inverse, c’est un constructeur dès lors que :
En application de ces critères, la cour d’appel a décidé que le fabriquant n’était pas un constructeur mais un « vendeur d’éléments sur mesure ». Le terme « sur mesure » est ici entendu comme l’adaptation des seules dimensions du produit à la commande et non comme la réalisation d’un objet réalisé pour un ouvrage déterminé. En effet, les murs et dalles en béton précoffrés n’avaient pas requis une fabrication spécifique, un travail particulier, hors des standards communs des produits ordinairement proposés par l’entreprise.
On l’aura compris, la solution sera différente dès lors qu’une entreprise réalise des éléments préfabriqués spécifiquement dédiés aux besoins d’un ouvrage particulier.
Ainsi, les constructeurs hors site peuvent bénéficier du statut protecteur du sous-traitant sous réserve de respecter les conditions fixées par la loi de 1975 précitée.
Aziliz Gautier-Guegan, avocate au barreau de Paris Cabinet Etoile Avocats [->[email protected]][1] Cour d’appel de Versailles, Chambre commerciale 3-1, 13 juin 2024 - n° 22/05012.
[2] Cour d’appel de Versailles, Chambre commerciale 3-1, 13 Juin 2024 - n° 22/05012.
[3] Loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance.
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Bonjour, il s’agit d’une distinction dont vous avez parfaitement relevé les enjeux sous l’aune de la loi du 31/12/1975.
Néanmoins, ces critères transposés aux CSPS (code du Travail) ne permettent pas une lecture plus aisée alors même qu’il existe aussi des enjeux liés à cette mission.
On sait en effet que les constructeurs sont soumis à visite d’inspection commune (VIC) et élaboration d’un PPSPS, alors que ce n’est pas le cas des locatiers ou des fournisseurs.
Or, les critères retenus en l’espèce par la Cour d’Appel n’ont aucun intérêt au regard de la pierre angulaire de la mission de CSPS qui est la coactivité.
De sorte que tout professionnel ne saura toujours pas qui d’un vendeur/fournisseur ou d’un constructeur sera soumis à ces documents et qui ne le sera pas. Fabriquer à la chaîne des éléments préfabriqués ou les concevoir de manière spécifique pour tel ou tel chantier, n’ajoute ou n’ôte aucun risque en matière de coactivité.
Merci pour votre commentaire et pour avoir apporté un élément de réflexion supplémentaire.