I. Principe : le plafonnement à la variation du loyer.
Les dispositions de l’article L145-34 du Code de commerce n’étant pas d’ordre public, le loyer renouvelé peut être déterminé d’un commun d’accord par les parties. A défaut, les loyers des baux à renouveler et à réviser doivent être fixés par rapport à la valeur locative conformément aux dispositions de l’article L145-33 du Code de commerce.
L’article L145-34 du Code de commerce prévoit un plafonnement à la variation du loyer dérogeant de la fixation du loyer renouvelé à la valeur locative.
Toutefois, des exceptions et à défaut des causes de déplafonnement ont été prévues permettant d’échapper au principe du plafonnement selon lequel le loyer à renouveler ne saurait dépasser un plafond, à condition que celui-ci ne soit pas supérieur à la valeur locative.
II. Les trois exceptions permettant d’écarter la règle du plafonnement.
1. Les exceptions résultant de la durée du bail expiré ou renouvelé.
L’article L145-34 du Code de commerce prévoit trois situations dans lesquelles la règle du plafonnement est écartée en raison de la durée du bail.
- 1ʳᵉ situation :
Lorsque le bail expiré est conclu pour une durée supérieure à neuf ans, le nouveau bail échappe au principe du plafonnement.
- 2ᵉ situation :
Lorsque le bail consenti pour une durée de neuf ans a été conventionnellement prorogé pour une année supplémentaire. La durée du bail étant de dix ans, le principe du plafonnement ne s’applique pas.
- 3ᵉ situation :
Lorsque la durée du bail expiré excède douze ans par l’effet de la tacite reconduction en ce que le contrat sera renouvelé automatiquement à sa date d’expiration sans formalité particulière des parties.
2. Les exceptions résultant de la nature des lieux loués.
Trois catégories de biens immobiliers sont prévues aux articles R145-9 et suivants du Code de commerce :
- Les terrains nus.
Sont visés à la fois les terrains où le locataire a fait des constructions avec l’accord du bailleur et l’accession de ces constructions réalisées au profit du bailleur après le départ du locataire.
Les loyers de ces terrains sont donc soumis à la valeur locative qui est laissée à la libre appréciation des tribunaux qui retiennent soit un prix au mètre carré, soit la valeur de rentabilité par rapport à la valeur vénale soit les deux méthodes.
- Les locaux monovalents.
Les critères permettant de déterminer la monovalence d’un local ont été précisés par la jurisprudence à savoir la nécessité d’engager des travaux importants ou des transformations coûteuses afin de changer la destination des lieux ou d’en faire une utilisation différente et ce même si une seule partie des locaux est transformée pour une activité différente.
En cas de pluralité d’activité, la monovalence sera retenue s’il n’existe aucune séparation ou indépendance entre les activités.
Les loyers dans les locaux monovalents sont donc déterminés en fonction des usages et à défaut en fonction de la valeur locative laissée à la libre appréciation des juges qui vont choisir la méthode qui leur semble la plus adaptée.
- Les locaux à usage exclusif de bureaux.
Ces locaux supposent la réunion de deux critères : un usage de bureau et un usage de bureau exclusif. En pratique, la jurisprudence retient que c’est un lieu où s’exerce une activité intellectuelle ou administrative.
La Cour de cassation invite les juges du fond à se fonder sur différents critères afin d’apprécier la notion d’usage exclusif tels que la destination contractuelle du bail, la commune intention des parties ou à défaut l’affectation matérielle des lieux et l’utilisation effective des locaux par le locataire.
Les loyers des locaux à usage exclusif de bureaux sont fixés à la valeur locative déterminée selon la méthode de comparaisons par rapport à des locaux de même nature.
3. Les exceptions résultant d’une disposition contractuelle.
La fixation du prix du loyer n’étant pas d’ordre public, les parties sont donc libres de le déterminer d’un commun d’accord et ainsi d’écarter les dispositions du statut des baux commerciaux.
Si votre situation ne correspond à un des trois cas d’exceptions, vous avez toujours la possibilité d’échapper au principe du plafonnement de loyer par une des quatre causes de déplafonnements.
III. Les quatre causes de déplafonnement.
1. La modification des caractéristiques du local loué.
La jurisprudence exige une modification de la consistance des locaux, c’est-à-dire une modification de leur surface ou de la situation du local. Pour apprécier cette modification, il convient de se référer à la destination du bail telle qu’elle résulte de la commune intention des parties, et non au seul descriptif des locaux.
Comme ces modifications résultent en majorité de travaux, il est nécessaire d’opérer une distinction entre les travaux réalisés par le preneur ou et ceux réalisés par le bailleur.
a. Les travaux réalisés par le bailleur.
Le juge doit vérifier si les aménagements apportés au local loué sont de nature à bénéficier au locataire dans l’exercice de son commerce.
Pour les travaux financés par le bailleur, la jurisprudence distingue les travaux relevant de l’entretien et ceux apportant une amélioration à l’immeuble au profit du preneur. Ce sera le cas, par exemple, de travaux d’embellissement et de transformation des parties communes qui profitent à tous les locataires.
A l’inverse, des travaux réalisés au cours du bail expiré ne peuvent constituer un motif de déplafonnement, dès lors qu’ils n’ont aucune incidence favorable sur l’activité exercée par le preneur.
b. Les travaux réalisés par le preneur.
Il est nécessaire de distinguer les travaux entraînant une modification des caractéristiques des locaux et ceux constituant de simples travaux d’amélioration.
- Les travaux entraînant une modification des caractéristiques des locaux : article R145-3 du Code de commerce.
Prévus à l’article R145-3 du Code de commerce, ils permettent au bailleur de se prévaloir d’un déplafonnement dès le premier renouvellement. A défaut, il ne pourra plus s’en prévaloir pour les renouvellements ultérieurs.
Le déplafonnement est donc immédiat.
La Cour d’appel de Paris dans un arrêt en date du 8 juin 2011 a pu définir la notion de « modification des caractéristiques des locaux ». Ces travaux sont ceux : « apportant modification des structures, des volumes, des surfaces ou de la division des surfaces des locaux loués ou modification de la conformation des différentes parties des locaux ».
Concrètement, les travaux concernés sont les suivants : ceux entraînant une extension de l’assiette du bail, des travaux d’aménagement interne permettant un accroissement des surfaces de vente, ainsi que des travaux lourds de transformation des locaux.
- Les travaux entraînant de simples améliorations : article R145-8 du Code de commerce.
L’article R145-8 du Code de commerce dispose que :
« les améliorations apportées aux lieux loués au cours du bail à renouveler ne sont prises en considération que si, directement ou indirectement, notamment par l’acceptation d’un loyer réduit, le bailleur en a assumé la charge ».
Deux hypothèses sont à distinguer :
- Les améliorations seront prises en compte dès le premier renouvellement à condition que le bailleur ait participé au financement, de manière directe ou indirecte.
- Les améliorations seront prises en compte à compter du second renouvellement dans la mesure où le bailleur ne participe pas au financement. Cela est possible à condition qu’une clause d’accession soit prévue en fin de bail.
En effet, le déplafonnement au second renouvellement ne peut s’établir qu’à condition qu’un bail prévoit l’accession du bailleur aux travaux du locataire à la fin du bail.
Le déplafonnement est donc être différé.
Pour rappel, l’accession est une extension légale de la propriété d’une chose, qu’elle soit mobilière ou immobilière. Elle donne droit sur tout ce qu’elle produit et sur ce qui s’y unit accessoirement, naturellement ou artificiellement.
La Cour de cassation a admis que :
« Les travaux d’amélioration financés par le preneur deviennent, par l’effet de l’accession, la propriété du bailleur lors du premier renouvellement du bail commercial qui suit leur réalisation et sont susceptibles d’entraîner un déplafonnement du loyer à l’occasion du second renouvellement, sauf clause contraire ».
Par ailleurs, il est nécessaire de distinguer la clause d’accession prévue en fin de bail et en fin de jouissance.
En fin de bail, les travaux doivent nécessairement être pris en compte au deuxième renouvellement.
A contrario, la bail prévoyant l’accession en fin de jouissance ne pourra jamais constituer un motif de déplafonnement puisque les travaux effectués par le preneur resteront sa propriété jusqu’à son départ des lieux.
2. La modification de la destination des lieux.
Il convient de préciser que tous les changements de destination contractuelle ne constituent pas une clause de déplafonnement. L’appréciation de cette modification relève du pouvoir souverain des juges du fond. Ils doivent apprécier si le changement intervenu constitue ou non une modification notable.
Par exemple, la jurisprudence a pu considérer que le simple développement du commerce dans le respect de la destination contractuelle des lieux ne constitue pas une modification notable de la destination. En l’espèce, la Cour de cassation a approuvé la cour d’appel qui a refusé le déplafonnement au motif qu’aucune modification de la destination contractuelle n’est intervenue, l’activité de pharmacie comportant la vente des produits de pharmacie qui lui sont réservés ou autorisés par les textes législatifs ou réglementaires en vigueur.
Elle est appréciée objectivement selon les activités autorisées par le bail et non selon les activités effectivement exercées par le preneur. La Cour de cassation avait notamment rejeté le motif de déplafonnement invoqué par le preneur au motif qu’il avait transformé le premier étage où se tenait initialement une salle de billard en salle de restaurant. Toutefois, il était précisé que le bail consenti était à usage de café-restaurant donc la transformation n’avait pas affecté la consistance ou les caractéristiques des locaux.
De plus, la modification invoquée doit être suffisamment notable pour que l’extension d’activité ait un réel effet sur l’activité exercée emportant le déplafonnement.
Par exemple, une modification ne sera pas retenue si le locataire entreprend une activité qu’il n’exerçait pas jusque-là mais qui était autorisée dans le bail.
3. La modification des obligations des parties et des charges.
- La modification des obligations des parties.
Elle peut justifier un déplafonnement si elle entraîne une modification de l’économie du contrat.
Une modification conventionnelle du loyer dans des conditions étrangères à la loi et au bail initial peut être considérée comme une modification de l’économie du contrat.
- La modification des charges.
Elle peut se caractériser en raison d’une augmentation constante et sensible de chacun des principaux taux de l’impôt foncier. Toutefois, la Cour d’appel de Paris a rejeté l’augmentation des charges de copropriété en retenant qu’elles ne pouvaient être assimilées à des obligations nouvelles puisqu’elles résultent d’une délibération d’assemblée générale de copropriétaires.
A contrario, dans un arrêt récent, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a reconnu que l’augmentation des charges du bailleur résultant d’une nouvelle obligation légale de souscrire une assurance en sa qualité de copropriétaire non occupant constitue compte tenu de son caractère notable une cause de déplafonnement du loyer renouvelé d’un bail dans un immeuble en copropriété.
Le sujet du différend était de savoir si l’augmentation d’une prime d’assurance responsabilité civile du copropriétaire bailleur n’occupant devenu obligatoire légalement depuis 2014 constituait une modification notable de ses obligations justifiant alors le déplafonnement du loyer renouvelé au visa de l’article L145 34 du Code de commerce.
Depuis la loi Pinel, la souscription d’une assurance en qualité de copropriétaire non occupant est devenue obligatoire. En l’espèce, les primes liées à cette assurance ont augmenté de 62.56% au cours du bail expiré entrainant une perte de rendement locatif pour le bailleur jugé notable de 27.97%.
La Cour de cassation a considéré, en application de l’article L145-33 et R145-8 du Code de commerce, que l’accumulation de l’obligation légale pour le bailleur de souscrire cette nouvelle assurance et de l’augmentation des charges du bailleur emportant une baisse jugée notable de son revenu locatif constituent une modification notable des obligations des parties.
Cette décision a pour mérite de clarifier les conditions dans lesquelles une obligation légale nouvelle créée au cours du bail expiré peut être considérée comme une modification notable justifiant le déplafonnement du loyer du bail renouvelé.
Néanmoins, si cette décision apporte une sécurité juridique en la matière il n’en demeure pas moins que le caractère notable de cette modification sera apprécié au cas par cas de manière souveraine par les juges du fond.
- La modification des modalités de fixation du prix.
Elle est constitutive d’une modification des obligations et des charges des parties.
Le déplafonnement peut avoir lieu si des circonstances particulières expliquant le montant anormalement bas du loyer initial ont disparu lors du renouvellement. Ainsi, c’est au bailleur de démontrer que le prix était inférieur à la valeur locative et que la raison qui justifie cette fixation a évolué voire disparu au cours du bail échu .
Toutefois, plusieurs éléments ne peuvent être pris en compte :
- l’ignorance du bailleur quant à la valeur locative réelle ;
- les erreurs commises dans le cadre de fixation du loyer ;
- la minoration du montant du loyer initial due au fait que le bailleur est en même temps vendeur de fonds.
4. La modification des facteurs locaux de commercialité.
Elle est une cause de déplafonnement dès qu’elle est intervenue entre la date initiale du bail et la date de son renouvellement effectif. Cette modification n’a besoin ni d’être matérielle ni d’avoir une incidence chiffrée sur la valeur locative.
Toutefois, elle doit respecter les conditions suivantes :
- avoir une influence certaine et directe sur le commerce effectivement exploité.
- représenter un intérêt pour le commerce exploité dont la nature des activités doit être prise en compte.
Sera considéré comme une modification des facteurs locaux de commercialité : une construction de logements occupés par une population aisée dans la mesure ayant une incidence sur le commerce exercé peut être considéré comme une modification des facteurs locaux de commercialité.
Toutefois, ne sera pas considéré comme une modification des facteurs locaux de commercialité une augmentation de la population pour un commerce ne s’adressant pas à une clientèle locale.
Le caractère notable ne s’apprécie pas à la lueur du chiffre d’affaires du locataire. De plus, cette modification ne doit pas toujours être favorable au locataire.
La jurisprudence a pu considérer qu’une modification notable des facteurs locaux de commercialité ne peut justifier un motif de déplafonnement du nouveau loyer qu’autant qu’elle est de nature à avoir une incidence favorable sur l’activité commerciale exercée par le preneur.
Pour conclure :
Les exceptions et les causes permettant le déplafonnement du renouvellement d’un loyer d’un bail commercial sont nombreuses, néanmoins les conditions de mise en jeu sont complexes et nécessite d’analyser la situation locative et d’être assisté.
Sources.
- Civ, 3ᵉ, 3 décembre 2003.
- Civ, 3ᵉ, 8 mars 2005.
- Civ, 3ᵉ, 12 juin 2001, n°11-10.013.
- CA Paris, 7 avril 2004, n°2002/11018.
- CA Paris, 25 mars 1997.
- Cour d’appel Paris, 8 juin 2011, n°09/22395.
- Civ, 3ᵉ, 14 mars 2019, n° 18-13221.
- Civ, 3ᵉ, 21 mars 2007.
- Civ, 3ᵉ, 10 oct. 2001.
- Civ, 3ᵉ, 12 oct. 1998.
- CA Paris, 5 mai 2004, n°2002/07420.
- Civ, 3ᵉ, 2 février 2000.
- CA Paris, 28 février 2001.
- Civ, 3ᵉ, 23 janvier 2025, n°23-14887.
- Loi n°2014-626, 18 juin 2014, relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises.
- CA Paris, 7 février 2005.
- Civ, 3ᵉ, 22 janv.1992.
- Civ, 3ᵉ, 11 juillet 2006.
- Civ, 3ᵉ, 14 sept. 2011, n°10-30.825.