EVC "voie interne" qui est concerné ?
1. Les titulaires d’une AEP.
En premier lieu, les praticiens bénéficiant d’une « attestation permettant un exercice provisoire » prévue à l’article L4111-2-1 du Code de la santé publique et issue de la loi Valletoux.
Cette « AEP » n’est pas à confondre avec les autorisations temporaires d’exercice (ATE), qui sont régulièrement délivrées par les ARS sur des fondements juridiques parfois flous [1] ou sur le fondement de l’article L4111-1-2 du Code de la santé publique qui s’adresse pour l’essentiel aux stagiaires associés [2].
En l’état, il est permis de considérer que le simple fait de détenir une ATE ne permet pas de prétendre à la voie d’accès interne.
Le problème de ce critère d’éligibilité reposant sur la détention d’une AEP est que, pour l’heure, il ne concerne… personne.
Car en effet, les demandes d’AEP ne peuvent être présentées que « durant des périodes déterminées » [3].
Ces demandes sont examinées par des commissions nationales, régionales ou interrégionales [4] qui disposent d’un délai de deux mois à compter de leur saisine par le directeur général de l’ARS pour se prononcer, ce délai pouvant être prolongé d’un mois [5], puis le directeur général de l’ARS dispose d’un délai de « quatre mois à compter de la fermeture de la période de dépôt des demandes » pour rendre une décision [6] pour statuer sur la demande (son silence à l’issue de ce délai valant rejet de la demande d’AEP).
Or pour les spécialités relevant d’une commission nationale (30 spécialités), les dossiers de demandes pouvaient être déposés « du 3 mars au 18 avril 2025 ».
Les AEP seront donc délivrées au compte-goutte jusqu’au 19 août prochain (dans le meilleur des cas). Ceux qui n’auront pas reçu de réponse devront contester les rejets implicites de la demande.
Curieusement, le CNG n’a pas permis aux praticiens de déposer eux-mêmes leurs dossiers : les demandes devaient être déposées « uniquement par les établissements publics de santé, les établissements de santé privés à but non lucratif ainsi que les établissements ou services sociaux ou médico-sociaux ».
En revanche, pour les demandes d’AEP relevant de commissions régionales (14 spécialités), les dates de dépôt des demandes sont indiquées sur les sites internet des ARS et les dossiers peuvent être déposés par les praticiens eux-mêmes (pourquoi n’avoir pas permis un procédé identique de candidature individuelle pour ceux qui relèvent d’une commission nationale ?).
Bref, pour l’instant, très peu (peut-être même aucun) praticien ne détient une telle AEP « Valletoux ».
2. L’éligibilité par l’expérience.
Peuvent également prétendre à la voie interne, en deuxième lieu, les personnes qui justifient d’une expérience en France, dans la spécialité correspondant à la demande d’autorisation, d’au moins deux ans en équivalent temps plein au cours des trois années qui précèdent la publication de l’arrêté portant ouverture des EVC.
Prenons un exemple : si, comme l’an dernier, l’arrêté portant ouverture de la session 2025 des EVC devait être publié le 2 juin prochain, pourraient prétendre à la voie interne les praticien disposant de deux ans d’expérience en équivalent temps plein dans leur spécialité entre le 2 juin 2021 et le 2 juin 2024.
Pour l’instant, l’arrêté portant ouverture de la prochaine session des EVC n’est pas encore paru. Et dans la mesure où la procédure nationale de choix de poste des lauréats (listes principale et complémentaire) est encore en cours, il ne devrait pas paraître avant la fin de l’été.
3. L’exercice en pleine autonomie en Outre-Mer.
En troisième et dernier lieu, sont éligibles à la voie interne les praticiens autorisés à exercer la médecine (avec une inscription à l’Ordre) en Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon suivant la procédure de l’article L4131-5 du Code de la santé publique.
Relevons que ces praticiens, s’ils justifient de cinq années d’exercice dans ces territoires ultra-marins, peuvent être dispensés du parcours de consolidation des compétences [7].
L’épreuve unique, uniquement théorique.
Ces praticiens éligibles à la voie interne seront soumis à une épreuve unique de vérification des connaissances fondamentales. Ainsi le pouvoir réglementaire a fait le choix curieux de privilégier des connaissances théoriques à une vérification des connaissances pratiques. Il faudrait pourtant privilégier l’appréciation concrète des chefs de service, plutôt que de soumettre ces praticiens, qui travaillent bien au-delà du maximum légal, à des révisions qu’ils n’ont pas le temps de faire.
Cette épreuve unique sera-t-elle la même que celle proposée pour les candidats à la voie externe ? Il faudra sans doute attendre les modalités concrètes du concours, fixées par arrêté ministériel, pour le savoir, même si la rédaction du nouvel article D. 4111-2 suggère que le jury national préparera des sujets différents (ce qui leur permettra de fixer des seuils d’admission différents, voir plus bas).
Tout ce qui précède vaut en des termes identiques pour les médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes et pharmaciens détenteurs de diplômes hors Union européenne.
Les candidats aux voies internes et externes auront-ils accès aux mêmes postes ?
La réussite aux EVC n’ouvre pas le droit automatique à exercer la médecine en France. Être lauréat permet « seulement » d’entamer un « parcours de consolidation des compétences ».
Selon la nouvelle rédaction de l’article R4111-1-1 du Code de la santé publique, il semble que chaque voie d’accès (interne et externe) aura son propre quota de places ouvertes.
Sur les postes ouverts, le Gouvernement renonce à la publication d’une liste des structures d’accueils : désormais, ces structures seront recensées et proposées par les agences régionales de santé [8]. Les lieux de stage permettant d’effectuer des PCC sont élargis, puisque s’ajoutent aux établissements de santé publics, privés d’intérêt collectif ou privés les « structures sanitaires mentionnées aux articles L6323-1 et L6323-3 » (à savoir, les centres de santé et les maisons de santé) ainsi que les services sociaux et médico-sociaux [9].
Certes, le nombre de places offertes en PCC sera sans doute élevé. Mais c’est loin d’être une bonne nouvelle : lorsqu’en fin de parcours de consolidation les dossiers sont soumis pour examen à la commission nationale d’autorisation d’exercice, celle-ci reproche déjà aux candidats à l’autorisation d’avoir été affectés dans des centre hospitaliers « non validant pour la formation des internes » (ce qui est une exigence contraire à l’article 1er de l’arrêté du 13 avril 2021, qui ne pose pas cette condition pour qu’un PCC soit validé) et exige des compléments de stage parfois (très) significatifs [10].
Il va de soi que celui qui sera affecté, par exemple, en centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogue, se verra reprocher de n’avoir pas couvert tout le champ de sa spécialité pendant son stage. Ces stages n’ont en réalité pour seul objet que de permettre à l’exécutif de « boucher les trous », grâce aux PADHUE, dans des structures qui peinent à recruter.
Dans ces circonstances, la possibilité offerte aux médecins de solliciter l’autorisation d’exercice après six mois de stage [11] ne manque pas de faire sourire (ou pleurer) : il s’agit d’une promesse qui ne coûte rien à l’exécutif pour apaiser les PADHUE, mais qui n’aura sans doute jamais d’application concrète. Compte tenu des exigences de la commission nationale et du CNG, ce dispositif, qui entre en vigueur ce 30 mai et est donc immédiatement applicable, y compris aux praticiens déjà en cours de PCC, restera sans nul doute lettre morte.
Quel seuil d’admission ?
C’était une grande attente de cette réforme, qui n’apporte malheureusement aucune réponse. Loin de résoudre l’opacité du système qui prévalait jusqu’à maintenant la réforme brouille encore plus les cartes.
Rappelons tout d’abord qu’il s’agit d’un « concours interne » et non pas d’un examen où un 10/20 permet d’être déclaré lauréat.
Les notes minimales continueront donc d’être décidées unilatéralement (et en toute opacité) par les jurys.
Mais deux concours signifie vraisemblablement deux seuils d’admission.
Ainsi, pour une même spécialité, les exigences des jurys pourront varier selon qu’il s’agisse de la voie interne ou de la voie externe. Un seuil d’admission à 7 pourrait être prononcé en voie externe tandis que pour la même spécialité, la note minimale sera de 14 (rappelons tout de même qu’aux EVC 2024, le dernier candidat admis en urologie a obtenu la note de 14,7, laissant sur la touche bon nombre de candidats, alors que 13 postes sont restés non pourvus).
Mais il y a plus, puisque chaque concours comptera toujours deux listes, en vertu du principe posé par la loi suivant lequel le nombre de postes ouvert « n’est pas opposable aux réfugiés, apatrides, bénéficiaires de l’asile territorial et bénéficiaires de la protection subsidiaire et aux Français ayant regagné le territoire national à la demande des autorités françaises » (la "liste B"). Il y aura donc une liste A et une liste B en voie interne comme en voie externe.
Et comme la pratique du CNG est d’admettre les candidats en liste B à 10, les seuils d’admission vont se multiplier.
Ainsi, pour une même spécialité (dès lors que l’admission est susceptible d’être prononcée sans note éliminatoire, soit 6/20, à l’une des épreuves), un candidat liste A en "voie interne" pourrait être recalé à 12, quand le candidat liste B du même concours sera pris à 10 et que le candidat liste A du "concours externe" pourrait être déclaré lauréat avec une moyenne de 7/20.
Ajoutons, comme au moins les deux années précédentes, que toutes les spécialités dans lesquelles les postes ne seront pas pourvus… On pouvait difficilement faire moins lisible et attentatoire à l’égalité de traitement. Et on s’interrogera vainement sur la logique poursuivie.
La cacophonie est déjà annoncée et les déçus seront nombreux.
Les sanctions.
Après la carotte (l’illusoire PCC de 6 mois et là une promesse d’un concours interne "plus facile"), le bâton : l’article R4111-7 du Code de la santé publique est complété par des dispositions relatives à la suspension immédiate du PCC pour six mois au maximum lorsque sa poursuite « expose des patients à un danger grave ou lorsque est dûment constatée » l’incapacité du praticien « à exercer les fonctions qui lui sont confiées ».
Relevons d’emblée que les praticiens en PCC, qui exercent donc sous le statut de « praticien associé », peuvent déjà faire l’objet de suspension à titre conservatoire en vertu de l’article R6152-931 du Code de la santé publique. Avec ce nouveau texte, un praticien en PCC pourra donc être suspendu pour 3 mois [12] et également pour 6 mois [13] : on a vu des textes mieux conçus.
Pendant cette suspension du PCC nouvellement créée, le directeur général du CNG est appelé à « statuer définitivement, dans un délai de quatre mois, après avis de la commission nationale ». Sans décision de sa part dans ce délai, la suspension est levée automatiquement. C’est une procédure de sanction qui est alors engagée devant le CNG, avec une échelle de sanction pour le moins lacunaire : il n’y a que deux options, soit la poursuite du PCC, soit son interruption définitive, qui fait perdre à l’intéressé le bénéfice de son concours. On s’interroge sur les garanties offertes aux intéressés et manifestement le pouvoir réglementaire ne s’est pour sa part pas interrogé sur l’articulation entre la sanction qui pourrait être prononcée par le directeur de l’établissement d’affectation en parallèle [14] : que se passera-t-il si ce dernier décide d’une exclusion du statut de praticien associé alors que le CNG conclut à la poursuite du PCC... lequel exige le statut de praticien associé ?
Conclusion.
Annoncée comme un progrès, la création de la voie interne d’accès à l’autorisation d’exercice est un mirage réglementaire. Entre critères d’éligibilité flous, délais incohérents, complexité procédurale, opacité sur les épreuves, inégalités de traitement selon les listes ou les voies et risque accru de sanction, le nouveau dispositif soulève plus d’inquiétudes qu’il n’apporte de réponses.
Sous couvert de rationalisation, le pouvoir réglementaire accouche d’une réforme illisible, qui complexifie encore davantage le parcours des praticiens à diplômes hors Union européenne. Ceux-ci, pourtant indispensables au fonctionnement de notre système de santé, se trouvent une fois de plus relégués dans une logique d’exclusion à peine masquée, au mépris des principes d’égalité, de transparence et d’efficacité.
Discussion en cours :
Bonjour
Tt d’abord merci pour cette analyse, je partage le même avis , beaucoup de brouillard encore et encore ….
Mais êtes vous sur que le PCC concerne même les lauréats en cours de consolidation !? Il me semble que non pas de rétroactivité même pas pour les lauréat 2024 selon le CNG et LA DGOS , est il possible de l’expliquer votre conclusion à ce sujet
Bien cordialement