I. Faits.
L’affaire oppose un ancien salarié de l’Afdas à son employeur suite à son licenciement pour faute grave en juillet 2017.
Le salarié en question était un directeur dirigeant dans l’entreprise, ayant occupé plusieurs postes à responsabilité depuis son recrutement en 1985, son dernier poste étant celui de directeur des partenariats et des relations institutionnelles.
L’origine du conflit remonte à une relation amoureuse nouée avec une salariée de l’entreprise, et qui a pris fin de manière abrupte.
Après la rupture de leur relation, le salarié avait alors persisté à envoyer à sa collègue des messages insistants, via sa messagerie professionnelle et son téléphone personnel pour obtenir des explications, malgré le fait que cette dernière ait exprimé à plusieurs reprises son désir de maintenir une relation strictement professionnelle.
Ces messages étaient alors perçus comme une pression psychologique et généraient une souffrance professionnelle chez elle.
Finalement, cette situation a attiré l’attention de la manager de la salariée et du médecin du travail, qui ont alerté sur son mal-être lié à la pression exercée par ce collègue, puis corroboré le témoignage de la victime par leurs observations.
II. Moyens.
Le salarié conteste son licenciement et forme un pourvoi en soutenant que son comportement, bien qu’inapproprié, ne constituait pas une faute grave justifiant un licenciement.
Il affirme tout d’abord qu’un fait relevant de sa vie personnelle ne peut justifier un licenciement disciplinaire, sauf si ce fait est en lien direct avec ses obligations professionnelles, et qu’en l’occurrence, l’utilisation ponctuelle de sa messagerie professionnelle pour exprimer un besoin d’explication à la suite de la rupture amoureuse ne constituait pas un manquement.
Il argumente également qu’il n’y avait pas d’éléments prouvant que cette attitude aurait rendu impossible son maintien dans l’entreprise, d’autant plus qu’il n’avait pas d’antécédents disciplinaires et qu’il comptait plus de trente ans d’ancienneté.
Enfin, il conteste le fait que son comportement ait causé une souffrance au travail pour la salariée concernée, estimant que les faits reprochés n’étaient pas suffisamment graves pour justifier une telle décision.
De son côté, l’employeur a soutenu que le comportement du salarié était incompatible avec ses responsabilités professionnelles, d’autant plus que la salariée se trouvait dans une position hiérarchique moins élevée, bien qu’elle ne fût pas directement subordonnée au salarié.
L’employeur a également argumenté que les messages insistants envoyés par le salarié constituaient un manquement à l’obligation de respect de la santé et de la sécurité des collaborateurs, prévue par l’article L4122-1 du Code du travail, imposant au salarié de veiller à la santé physique et mentale de ses collègues.
III. Solution.
La Cour de cassation a confirmé la décision de la Cour d’appel de Paris estimant que, bien qu’il ne soit pas fait référence explicitement à un harcèlement dans la lettre de licenciement, le comportement du salarié constituait un manquement à ses obligations contractuelles.
Plus précisément, elle a repris l’argumentaire de l’employeur et rattaché ce manquement à l’obligation de sécurité prévue par l’article L4122-1 du Code du travail.
En effet, en dépit du fait que la relation problématique n’ait pas eu lieu directement sur le lieu de travail, l’insistance du salarié à entretenir cette relation personnelle en dépit des demandes de la salariée était incompatible avec ses responsabilités professionnelles, en particulier en raison des effets psychologiques négatifs qu’il a engendrés pour sa collègue.
Ainsi, la cour a jugé que l’employeur était fondé à prononcer un licenciement disciplinaire.
IV. Analyse.
Cette décision met en lumière l’équilibre délicat à maintenir entre le respect de la vie privée des salariés et la nécessité de maintenir un environnement de travail sain et respectueux.
Ainsi, cet arrêt marque une évolution en étendant l’application de l’obligation de sécurité au-delà des seules circonstances professionnelles.
En effet, la cour fait valoir que le harcèlement moral, même s’il prend racine dans des faits relevant de la vie privée du salarié, peut avoir un impact direct sur la santé des collaborateurs et donc sur l’environnement de travail.
Derrière cette décision, se dessinent ainsi désormais des limites à la liberté fondamentale de protection de la vie privée, lorsque le comportement d’un salarié nuit à la santé ou à la sécurité de ses collègues.
La sanction disciplinaire est alors justifiée par le manquement à une obligation légale de sécurité, et non sur le terrain d’un trouble au bon fonctionnement de l’entreprise.
Cette approche a des implications importantes car ouvre la voie à une plus grande surveillance des comportements personnels des salariés, notamment en ce qui concerne leur influence sur la santé psychologique des autres membres de l’entreprise, et pourrait inspirer d’autres décisions où l’employeur pourrait invoquer l’obligation de sécurité pour sanctionner des faits tirés de la vie personnelle, particulièrement lorsqu’ils ont des conséquences sur les risques psychosociaux.
Cet arrêt est également révélateur des enjeux liés à la santé mentale des salariés dans le cadre professionnel et illustre l’intensification du contrôle exercé par l’employeur sur la vie personnelle de ses salariés, notamment en matière de santé mentale, à l’ère des risques psychosociaux.
La cour souligne en effet l’importance de la prise en compte du bien-être des collaborateurs et l’importance du rôle des employeurs et des instances comme le médecin du travail dans la gestion des relations interpersonnelles au sein de l’entreprise, afin de prévenir des situations de mal-être qui peuvent nuire au climat de travail.
En conclusion, la Cour de cassation rappelle ici que les obligations de sécurité et de respect des autres salariés, telles que prévues par le Code du travail, ne s’arrêtent pas à l’entrée de l’entreprise.
En effet, même des comportements intervenant en dehors du lieu de travail, mais ayant des répercussions sur la santé psychique d’un collègue, peuvent constituer un manquement justifiant un licenciement disciplinaire.
Source.
C. cass. 26 mars 2025, 23-17.544
Amour au travail : est-ce risqué pour les salariés ?