Depuis une vingtaine d’années, les pouvoirs publics français et européens encouragent activement le recours aux modes alternatifs de règlement des différends (MARD), et plus particulièrement à la médiation. Cette volonté de "désengorger" les juridictions s’est traduite par de nombreuses réformes procédurales, circulaires et expérimentations locales destinées à intégrer l’amiable dans l’univers judiciaire (lois du 18 novembre 2016, du 23 mars 2019, décret du 11 décembre 2019, ...).
Dans ce mouvement, une large part des travaux et dispositifs s’est focalisée sur le rôle des prescripteurs institutionnels, notamment les juges et les avocats.
Le projet mené par la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence et les barreaux d’Aix et de Marseille initiant une étude en psychologie sociale s’inscrit dans cette approche.
La stratégie d’activation de l’amiable par le haut, en misant principalement sur les professions juridiques, révèle un impensé social.
En privilégiant une approche technico-fonctionnelle, fondée sur les leviers d’incitation, les biais cognitifs ou les résistances professionnelles au changement sont pourtant bien connus [1].
On relègue au second plan la dimension profondément sociale, politique et culturelle de la médiation.
Ce biais se traduit dans l’orientation des études : la majorité d’entre elles se concentrent sur les représentations des magistrats ou des avocats, et très peu sur celles des médiateurs non-juristes ou des citoyens, qu’ils soient ou non justiciables.
Or, comme l’a montré Pierre Bourdieu dans son analyse des systèmes juridiques, le champ judiciaire fonctionne selon une logique de distinction sociale et de reproduction symbolique [2].
Appliqué à la médiation, ce prisme permet de comprendre que les formes actuellement promues d’amiable ne sont pas neutres : elles sont façonnées par les représentations, les habitus et les intérêts des professionnels du droit.
Cette approche technocratique évacue une dimension pourtant essentielle : les attentes sociales envers la justice et les représentations citoyennes du conflit. En d’autres termes, on propose la médiation sans s’être véritablement demandé ce qu’attendent celles et ceux à qui elle est destinée.
Or, de nombreuses enquêtes en sciences sociales [3] montrent que les citoyens, notamment ceux issus des classes populaires ou des périphéries sociales, perçoivent la justice comme un monde lointain, opaque, coûteux et parfois hostile, et que cette distance n’est pas uniquement liée à l’ignorance ou à la peur du tribunal, mais bien à un sentiment d’exclusion structurelle.
Le risque est alors celui d’une double invisibilisation : celle des conflits qui ne parviennent pas jusqu’aux portes des institutions, et celle des personnes qui, bien qu’en difficulté, n’identifient pas la médiation comme une voie d’action légitime ou accessible.
Comme le montrent les travaux d’Aude Lejeune sur les usages populaires du droit [4], la capacité à activer un recours, fût-il amiable, est socialement distribuée : elle dépend des ressources économiques, des compétences discursives, de l’accès à l’information, mais aussi du sentiment de légitimité à prendre la parole et à contester.
En négligeant cette réalité, les politiques publiques de médiation risquent de renforcer une segmentation sociale de l’accès à la résolution des différends. D’un côté, les citoyens les plus dotés culturellement, socialement ou économiquement, capables de « s’emparer » des dispositifs amiables proposés dans les tribunaux ; de l’autre, ceux qui restent à l’écart, faute de codes, de soutien ou de reconnaissance.
Ce fossé se creuse d’autant plus que la médiation reste massivement portée et incarnée par des figures de professionnels du droit, dont le langage, les normes et les postures peuvent involontairement exclure.
Il est donc essentiel de repenser la médiation à partir de la société civile.
Les médiateurs issus de la société civile, les dispositifs communautaires ou les formes populaires d’entraide sont souvent tenus à distance de ces espaces institutionnels, voire disqualifiés. Ce que certains sociologues désignent comme une "professionnalisation captative" [5] qui empêcherait ainsi une réelle démocratisation de la médiation.
La question des inégalités sociales d’accès à la justice, un frein structurel pour la médiation juridictionnelle.
Les discours institutionnels sur la médiation, souvent centrés sur les notions de « développement », « promotion » ou « culture de l’amiable », laissent entendre que cette forme de justice serait, par essence, ouverte à tous.
Son caractère moins formel, plus souple, moins coûteux que la procédure judiciaire est présenté comme un levier d’accessibilité renforcée. Pourtant, les réalités sociales et les analyses empiriques montrent que cette accessibilité supposée est en grande partie illusoire, car fondée sur une conception abstraite et sans contexte social du justiciable.
La médiation, comme toute forme d’accès à la justice, est traversée par des inégalités sociales, culturelles, territoriales et symboliques.
Ces inégalités ne tiennent pas seulement à l’existence ou non d’une offre territoriale, mais à des mécanismes structurels qui déterminent la capacité des individus à entrer dans un processus amiable, à y prendre la parole de manière audible, à comprendre les codes implicites de la négociation, ou encore à faire valoir leurs intérêts dans un cadre souvent asymétrique.
En effet, plusieurs études en sociologie du droit [6] montrent que la médiation suppose une forme d’autonomie discursive, de réflexivité sur le conflit, et une capacité à détacher l’affect pour se concentrer sur les intérêts communs.
Ces compétences ne sont pas également réparties dans la population. Des personnes peuvent se retrouver désavantagées dans le processus, voire renvoyées à un discours de responsabilité individuelle qui les culpabilise davantage qu’il ne les soutient.
Le caractère volontaire et consensuel de la médiation, souvent érigé en vertu cardinale, devient alors un facteur d’exclusion silencieuse. Pour beaucoup, la justice, même conflictuelle, reste le seul espace de reconnaissance possible de leur préjudice, de leur statut de victime, de leur lutte. Leur proposer une sortie amiable peut, dans ces cas, apparaître non pas comme un accès, mais comme un renoncement imposé à leurs droits.
Par ailleurs, en n’ouvrant pas la réflexion sur la difficulté d’accès aux professionnels de justice (difficultés sociales, économiques), on invisibilise les processus d’exclusion à l’œuvre.
De la même manière, dans le champ de la santé, les études ont ainsi démontré les effets discriminants des interactions entre soignants et patients issus de groupes plus "dominés" [7].
La médiation institutionnelle peut renforcer des clivages sociaux si elle n’intègre pas une réflexion critique sur ses propres mécanismes d’inclusion et d’exclusion.
Des dispositifs dominés par les professionnels du droit à l’instrumentalisation du dévouement des médiateurs.
Dans les dispositifs dominés par les professionnels du droit (juges, avocats-médiateurs), les médiateurs issus d’autres horizons sont souvent relégués à des fonctions auxiliaires ou bénévoles, sans reconnaissance institutionnelle ni capacité de décision. Cette hiérarchisation implicite entre "vrais" médiateurs (professionnels, juridiques, formés selon certaines normes) et "autres" (bénévoles, retraité) constitue un obstacle majeur à l’émergence d’une médiation inclusive.
Le développement de la médiation en France s’est souvent appuyé sur l’engagement de citoyens, de retraités du service public, de travailleurs sociaux, d’enseignants, ou d’anciens juristes souhaitant transmettre autrement leurs compétences. Cet investissement, généralement bénévole ou faiblement rémunéré, s’est construit sur une logique de service, d’humanité, et parfois d’idéal démocratique. Pourtant, cette énergie de terrain, loin d’être valorisée à sa juste mesure, se trouve aujourd’hui instrumentalisée au service d’une politique de rationalisation judiciaire, sans véritable reconnaissance statutaire ou symbolique de celles et ceux qui la portent.
On assiste à la constitution de deux catégories de médiateurs.
D’un côté, les professionnels du droit (notamment les avocats-médiateurs ou anciens magistrats), adoubés par les institutions judiciaires, intégrés aux centres de médiation des barreaux ou à des dispositifs associatifs pilotés par les cours d’appel. Leur médiation, est pleinement intégrée dans l’écosystème institutionnel.
De l’autre, les médiateurs dits « auxiliaires », quasi-bénévoles, qui agissent dans des espaces périphériques, sans reconnaissance institutionnelle pleine, parfois sollicités dans une posture subalterne, au nom de leur proximité supposée avec certains publics.
Cette division, rarement explicitée, structure pourtant profondément le paysage de la médiation. Elle correspond à ce que Pierre Bourdieu appelait un processus de monopolisation symbolique [8], où une catégorie d’acteurs impose sa définition légitime d’une pratique, tout en délégitimant ou en minorant les autres formes concurrentes, notamment celles issues des marges.
En matière de médiation, cela revient à naturaliser une hiérarchie, où la parole des professionnels du droit serait neutre, experte et structurante, quand celle des médiateurs bénévoles serait affective, communautaire, voire naïve.
Dans ce contexte, le dévouement devient une ressource exploitée.
Les associations de médiateurs sont sollicitées bénévolement pour l’information à la médiation pour pallier les carences structurelles sans bénéficier d’une reconnaissance équivalente dans les circuits de financement.
On valorise leur action à travers le prisme de la générosité, mais on l’invisibilise comme activité professionnelle. Cela produit une forme d’extraction silencieuse de valeur sociale, au profit d’acteurs institutionnels qui conservent le pouvoir de pilotage du système.
Ce mécanisme est d’autant plus problématique qu’il masque les finalités premières de la médiation : rétablir un lien, permettre à chacun d’être entendu, reconnaître une souffrance ou un malentendu, favoriser une parole libre.
En figeant la médiation dans une logique de « gestion de flux » ou d’optimisation des procédures, on détourne ses objectifs démocratiques au profit d’une finalité conservatrice : la préservation de l’ordre judiciaire tel qu’il est.
Les politiques de médiation se trouvent ainsi prises dans une contradiction structurelle : elles appellent à plus d’horizontalité, de parole partagée, de justice douce, tout en reproduisant des schémas verticaux d’organisation, où seuls certains acteurs sont en position d’élaborer, d’évaluer ou de transformer le système.
On peut y voir une nouvelle forme de ce que Boltanski et Chiapello ont appelé le nouvel esprit du capitalisme (1999) : une récupération des formes critiques et alternatives par le système dominant, qui les intègre à ses marges sans en modifier le cœur.
La médiation n’a pas pour finalité d’améliorer les indicateurs de performance de flux ou renforcer sa légitimité auprès des pouvoirs publics. À terme, une telle dynamique risque de dissuader les vocations, d’assécher les innovations de terrain, et surtout de renforcer le sentiment d’exclusion chez celles et ceux pour qui la médiation devait justement être un espace de réappropriation.
Des expériences qui s’essoufflent ?
Depuis la réforme du Code de procédure civile et la reconnaissance croissante des Modes Amiables de Résolution des Différends (MARD), les cours d’appel françaises ont été invitées à établir des listes de médiateurs dans un esprit d’ouverture.
Théoriquement, ces listes sont accessibles à des médiateurs de tous horizons, sous réserve de compétences, de formation, d’expérience.
Pourtant, force est de constater que cette promesse d’ouverture peine à se réaliser dans la durée. Malgré quelques initiatives porteuses d’espoir - telles que celle menée par l’UMEDCAAP dès 2018, qui s’était attachée à constituer un réseau pluraliste de médiateurs agréés auprès de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence - les dynamiques inclusives s’étiolent.
Ce projet visait explicitement à dépasser les biais institutionnels, à lutter contre les effets de cooptation implicite entre magistrats et avocats, et à faire émerger une véritable culture interprofessionnelle de la médiation.
Mais ces expériences, souvent fragiles, car dépendantes d’équilibres locaux, semblent aujourd’hui se refermer sous la pression d’une logique de reprise en main par les professions juridiques.
L’intérêt récent des barreaux ou concepteurs de programmes courts universitaires pour « l’amiable » n’est pas anodin : à l’instar d’autres dynamiques institutionnelles, on assiste à un processus de « re légitimation » symbolique, dans lequel les professions du droit, soucieuses de moderniser leur image, se saisissent du discours de la médiation pour "réenchanter" leur pratique de leur capacité d’écoute, d’apaisement, et d’innovation, tout en préservant leurs prérogatives traditionnelles.
Ce phénomène n’est pas sans rappeler le marketing et la manière dont certaines entreprises ont investi les codes de l’écologie ou du développement durable, dans une logique de greenwashing. Ici, il s’agirait d’un « softwashing judiciaire », où l’on adopte les apparences du dialogue et de l’accessibilité, sans transformer en profondeur les logiques d’accès, de gouvernance et de reconnaissance. Les médiateurs non-juristes se retrouvent alors tolérés dans les interstices, mais rarement promus ou considérés comme des acteurs de plein droit.
Ainsi certaines cours d’appel, malgré la diversité affichée de leur liste de médiateurs, continuent de privilégier systématiquement les mêmes profils, souvent juridiques, ou issus de réseaux personnels connus des magistrats. Cela engendre une forme de hiérarchie implicite, où la légitimité du médiateur est corrélée à sa proximité avec les cercles judiciaires, plus qu’à sa compétence ou à son expérience du terrain.
Ce biais de cooptation, largement documenté dans d’autres institutions publiques [9], fonctionne ici comme un mécanisme de reproduction sociale, qui invisibilise les médiateurs issus de la diversité socio-professionnelle.
À terme, cela menace l’extension même du recours à l’amiable : car comment espérer démocratiser l’accès à la médiation si les profils autorisés à la pratiquer sont eux-mêmes issus d’un entre-soi étroit et peu représentatif de la société ?
L’expérience de l’UMEDCAAP, qui proposait une forme de répertoire commun à toutes les disciplines de la médiation, mérite d’être revisitée.
En se limitant à une lecture psychologisante ou motivationnelle des « freins » au recours à l’amiable par les prescripteurs n’y a-t-il pas surtout un enjeu de re-légitimation des professions du droit ?
À se centrer sur la connaissance par les professionnels du droit des techniques de la médiation ne passe-t-on pas à côté de l’essentiel : l’accès conditionné aux formes alternatives de résolution des conflits ?
Une culture de la médiation, pour se diffuser, ne peut rester confinée aux cercles de l’entre-soi professionnel. Elle suppose une politique de reconnaissance des acteurs non juridiques, une compréhension fine des attentes citoyennes, et surtout une vision élargie du droit comme relation sociale, et non comme seul exercice procédural.
Ce sont davantage les évolutions sociales à l’œuvre dans la société qui font le changement de regard, plutôt que le changement de ceux qui font la justice.
Ce ne sont pas les professionnels du droit, alors que les connaissances scientifiques des mécanismes à l’œuvre étaient connues, qui ont renoncé à l’excuse du crime passionnel, mais les évolutions des représentations sociales de ces dernières années.
Les critiques adressées aux politiques actuelles de promotion de l’amiable ne doivent pas conduire à un rejet de la médiation elle-même. Au contraire, elles invitent à reprendre le projet à sa racine : si l’amiable a un avenir, ce n’est pas en tant qu’outil d’optimisation de l’institution judiciaire, mais en tant que vecteur de transformation des rapports sociaux et d’accès à la justice.
Cela suppose d’abord une rupture nette avec une logique purement technicienne ou fonctionnaliste. Loin de se réduire à un simple « mode alternatif », la médiation peut être pensée comme une politique. Cela implique un moment de reconnaissance, de visibilité, de transformation des rapports sociaux.
À cette condition, l’amiable peut devenir un outil de reconfiguration du lien social, notamment pour des populations tenues à l’écart de l’espace judiciaire formel.
Cela suppose non seulement de penser l’accessibilité matérielle des dispositifs, mais aussi de valoriser la diversité des formes de médiations sans les réduire à des formes mineures ou supplétives.
Il est donc urgent de reconnaître et d’intégrer dans les politiques publiques cette pluralité des pratiques, en s’inspirant de modèles existants, notamment dans d’autres champs. Par exemple, dans le domaine de la santé, permettent la co-construction des dispositifs de soins, en rompant avec une vision descendante du savoir médical.
Pour conclure, loin de tout rejet de l’institution judiciaire ou des professionnels du droit, cette approche appelle à une recomposition des rôles.
Une co-construction des dispositifs, où les juges, les avocats, les médiateurs, les justiciables et les citoyens dialoguent dans une dynamique de transformation.
Il s’agit de faire de la médiation un complément vivant, incarné, accessible, et porteur de sens, capable de restaurer une capacité collective à traiter les conflits autrement.
Aussi, plutôt que se demander comment améliorer l’adhésion des professionnels du droit à la médiation…, interrogeons les mécanismes sociaux qui restreignent l’accès à la médiation pour certains groupes, et penser la médiation comme un outil de justice sociale et de participation démocratique.. L’amiable ne pourra jouer un rôle structurant dans le paysage judiciaire contemporain que s’il est repensé dans une logique d’inclusion, de pluralité, et d’ouverture à la société civile.
Revaloriser les médiateurs issus de parcours variés, reconnaître l’importance des ancrages territoriaux et culturels, repenser les indicateurs de qualité au-delà des seuls critères de performance procédurale : autant de voies à explorer pour refonder l’amiable comme un bien commun, et non comme une variable d’ajustement du système judiciaire.
Discussions en cours :
Un grand merci à Sandra Gallissot pour cet article très intéressant, et parfaitement argumenté. Effectivement, nous constatons que depuis une dizaine d’année, les professionnels du droit reprennent progressivement en main le dispositif de la médiation. Oui, les non-juristes sont souvent « tout juste tolérés dans les interstices », et « le dévouement devient une ressource exploitée »…
Michel Crozier a parfaitement décrit en 1970 les blocages français (« la société bloquée », « l’acteur et le système »), sur fond de stratégies d’acteurs dans les dysfonctionnements organisationnels. C’était il y a un demi-siècle…
Merci Madame pour cet article qui fait preuve d’une approche et d’une analyse tout à fait novatrice et qui, à mon sens, décrit fort bien ce qui se passe aujourd’hui dans le monde judiciaire autour de ce nouveau marché que sont devenus les modes amiables de résolution des différends.
Conciliateur de justice, je ne peux que regretter que vous ne citiez pas ces derniers qui peuvent toutefois parfaitement se reconnaître dans vos phrases : "Le développement de la médiation en France s’est souvent appuyé sur l’engagement de citoyens, de retraités du service public, de travailleurs sociaux, d’enseignants, ou d’anciens juristes souhaitant transmettre autrement leurs compétences. Cet investissement, généralement bénévole ou faiblement rémunéré, s’est construit sur une logique de service, d’humanité, et parfois d’idéal démocratique. Pourtant, cette énergie de terrain, loin d’être valorisée à sa juste mesure, se trouve aujourd’hui instrumentalisée au service d’une politique de rationalisation judiciaire, sans véritable reconnaissance statutaire ou symbolique de celles et ceux qui la portent."
Encore merci.
La place des conciliateurs est un peu différente en ce que le conciliateur est le prolongement du pouvoir de conciliation du juge, ce qui n’est pas la fonction du médiateur désigné. Pour autant je partage pleinement votre commentaire sur le peu de considération apporté aux conciliateurs par l’institution juridiciaire
Merci Sandra pour ce puissant plaidoyer pour les médiateur.e.s non issus de l’institution judiciaire ! Et donc pour le développement de la médiation en tant que « métier » singulier.
La question de la légitimité des avocats ou magistrats à devenir d’excellents médiateurs ne se pose pas, nous en connaissons, mais ils ne doivent pas construire le métier de médiateur seulement avec leur bagage judiciaire, comme pour mieux le kidnapper parfois au lieu de l’apprivoiser comme disait l’autre :-)
Bonjour Chère Sandra !
Merci beaucoup pour cette approche sociologique qui est très riche de sens et de pragmatisme. Il est tout à fait pertinent d’aborder cette thématique ouvertement tout en valorisant l’approche M.A.R.D.dans un intérêt général et collégial.
La Médiation mérite d’être mieux connue et développée. J’ai fais appel à plus de 3 Médiateurs (dont 1 dossier civil et 2 commerciaux). Leurs rôles ont-été déterminants,productifs et constructifs.
Je m’étais posé en marge de ma réflexion la question des aides juridictionnelles et prise en compte des assurances protections juridiques. Un article du DALLOZ du 9/12/2024 informe du décret du 28/12/2023 relatif à la revalorisation de la rétribution des Avocats pour l’aide judiciaire et d’un "minimum de rétribution" (faible) pour les Médiateurs. Cet aspect financier ne doit-il pas justement (faire) encourager l’appel à la Médiation avec une réelle revalorisation et revoir les clauses contractuelles assurantielles pour la prise en charge des honoraires des Médiateurs ? Ce volet financier ne doit effectivement pas être un frein pour l’accès à la Médiation et surtout être en parfaite harmonie avec les ambitions législatives détaillées dans une note par le Garde des Sceaux du 17/02/2023 (mesure favorisant le règlement amiable des litiges). Il ne ne donc subsister un quelconque "plafond de verre" juridique entre professionnels de la Médiation et entre les catégories socioprofessionnelles.
PS : Je suis en formation CMAP en Médiation, cette thématique est donc importante également pour les TPE/PME qui représentent 98 % de l’économie c’est à dire l’essentiel.
Je recommande chaudement la lecture de cet article vivifiant. Il reprend pour l’essentiel mes travaux sur les MARC synthétisés dans mon ouvrage Médiations. les ateliers silencieux de la démocratie, Toulouse Ersè, 2015, 2ème édition. Depuis sa publication j’ai écrit de nombreux articles et donné de multiples conférences sur ce thème. L’institutionalisation de la médiation relève en effet de plus en plus d’un peace washing qui ne remet pas profondément en cause les logiques systémiques de fonctionnement et la captation de la médiation par les juristes dans des logiques de marché est de nature à nuire au développement "social" de la médiation. Cet impensé, l’article reprend mon terme alors que l’auteure ne connait probablement pas mes travaux, est de nature à nuire au développement de la paix sociale.
Jacques Faget, directeur de recherche émérite au CNRS (centre Emile Durkheim Sciencepo Bordeaux), membre du conseil national de la médiation.
Je souscris aux arguments de Sandra Gallissot soutenus par Jacques Faget.
Le développement de la médiation ne passera pas comme déjà à son origine par le système judiciaire qui ne peut que capter et déformer la médiation selon ses principes et logiques.
La médiation et le système judiciaire sont de telle manière qu’ils ne sont pas "missibles", par contre leur articulation reste un impensé à dépasser.
Je n’avais pas cité jusqu’ici Jacques Faget, non par oubli, mais parce que je ne souhaitais pas, dans ce texte, aborder directement la position actuelle du Conseil National de la Médiation. Il faut souligner l’importance majeure de sa pensée, ancrée dans une approche critique de la médiation comme phénomène social et politique, Approche essentielle pour sortir des évidences technocratiques et interroger les finalités profondes des pratiques amiables.
Jacques Faget s’est toujours attaché à analyser la médiation comme un phénomène social et politique, et non comme une simple technique neutre de gestion des conflits. Il a notamment mis en évidence la dimension idéologique du recours à l’amiable dans certaines politiques publiques, et les logiques d’instrumentalisation de la médiation par les institutions pour déléguer ou désamorcer les tensions sociales.
L’« impensé », est effectivement une formulation du lexique de la sociologie critique, pour désigner les angles morts des discours et dispositifs médiatiques ou juridiques, ces évidences non questionnées qui orientent l’action sous couvert de neutralité. J Faget a ainsi montré comment la médiation pouvait, malgré ses intentions pacificatrices, renforcer les asymétries sociales, invisibiliser les rapports de domination, et naturaliser certaines inégalités d’accès au droit ou à la parole (Faget, Sociologie de la médiation, 2015).