I. Faits.
Initialement engagé au sein de la société VediorBis en 1999, un ancien directeur de région a progressivement gravi les échelons pour devenir président de la société Groupe Vedior France en 2007, ce poste impliquant la suspension de son contrat de travail initial.
A la suite du rachat du groupe Vedior par le groupe Randstad, il a été nommé président-directeur général de Randstad France en 2008, puis président du conseil d’administration en 2012.
En 2013, il a conclu un accord intitulé « Board Agreement » avec la société Randstad NV, société mère néerlandaise du groupe, pour occuper la fonction de directeur exécutif au conseil d’administration pour une durée initiale de quatre ans, renouvelée ultérieurement.
En 2020, Randstad NV a décidé de ne pas prolonger ce mandat, demandant à ce dernier de démissionner de ses autres fonctions au sein du groupe. En l’absence de démission, il a été révoqué de ses différents postes d’administrateur et de président.
Estimant que la relation contractuelle avec Randstad NV devait être qualifiée de contrat de travail, il a alors saisi la juridiction prud’homale.
Dans son arrêt du 10 novembre 2022, la Cour d’appel de Paris, s’était déclarée incompétente au profit des juridictions néerlandaises, et avait ainsi refusé de qualifier la relation contractuelle en contrat de travail.
L’executive director au Conseil d’administration s’est pourvu en cassation.
II. Moyens.
Dans son pourvoi, le demandeur reprochait notamment à la Cour d’appel de Paris d’avoir écarté la qualification de contrat de travail en se fondant sur le droit néerlandais, selon lequel le "Board Agreement" qu’il avait conclu avec sa société cotée n’était pas un contrat de travail. Il estime que cette approche est contraire au règlement Bruxelles I bis, qui exige une analyse indépendante du droit national.
Par ailleurs, il faisait valoir que la qualification de contrat de travail dépend normalement de la capacité d’influence du mandataire social sur la société lui ayant confié ce dernier. Il souligne à cet égard que le "Board Agreement" contenait des clauses limitant son autonomie (directives, rémunération, avantages).
Dès lors, cela prouvait qu’il était subordonné à la société, et donc lié par un contrat de travail à elle.
III. Solution.
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi, confirmant que la relation ne pouvait être qualifiée de contrat de travail.
En s’appuyant sur le règlement Bruxelles I bis et la jurisprudence européenne elle rappelle qu’un contrat entre une société et un dirigeant ne constitue pas un contrat de travail lorsque ce dernier est en mesure de discuter les termes de son contrat, dispose d’un pouvoir de contrôle autonome sur la gestion quotidienne de la société et sur l’exercice de ses propres fonctions, et enfin exerce une capacité d’influence non négligeable sur le conseil d’administration.
La cour d’appel avait constaté que le "Board Agreement" énumérait des éléments tels que la rémunération, les avantages, les congés, la propriété intellectuelle et la confidentialité. A cet égard, discutées par le demandeur, elles ne suffisaient pas à établir l’existence d’un contrat de travail, surtout que la mission décrite visait à servir les intérêts de la société.
En effet, selon elle, les obligations mentionnées dans le contrat correspondaient aux fonctions typiques d’un membre de conseil d’administration : respecter les directives prévues par la loi et les statuts, siéger dans des comités, et contribuer activement au développement de la société.
Enfin, aucune preuve n’a été apportée pour démontrer que le demandeur avait agi sous la subordination de la société ou reçu des directives. Dès lors, la Cour de cassation a validé l’analyse de la cour d’appel, écartant l’existence d’un lien de subordination et, par conséquent, la qualification de contrat de travail.
IV. Analyse.
Cet arrêt du 27 novembre 2024 s’inscrit dans la continuité des jurisprudences précédentes de la Cour de justice de l’Union européenne, concernant la notion de contrat individuel de travail dans le cadre des règlements européens sur la compétence judiciaire (notamment les règlements Bruxelles I et Lugano II).
Bien qu’en l’espèce, les mêmes textes communautaires ne sont pas applicables, la Cour de cassation estime que les jurisprudences, notamment les arrêts Holterman Ferho Exploitatie (CJUE, 10 septembre 2015) et Bosworth et Hurley (CJUE, 11 avril 2019), peuvent être transposées à l’application du règlement Bruxelles I bis (n° 1215/2012), applicable.
En effet, elle justifie cette solution par le fait que ces règlements utilisent des notions juridiques similaires, comme celle de "contrat individuel de travail".
Ainsi, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) clarifie que, pour qu’une relation contractuelle entre une société et un dirigeant puisse être qualifié de contrat de travail, il faut démontrer l’existence d’un lien de subordination.
Toutefois, si le dirigeant dispose premièrement d’un pouvoir de contrôle autonome sur la gestion quotidienne de la société et sur l’exercice de ses fonctions, deuxièmement d’une capacité d’influence significative sur les décisions du conseil d’administration, troisièmement d’une possibilité de négocier ou de décider des termes de son propre contrat, et qu’enfin il ne reçoit aucune directive précise pour l’exécution de ses missions, ce lien de subordination est considéré comme absent.
Dès lors, le simple fait que les actionnaires aient le pouvoir de révoquer le dirigeant ne suffit pas à établir un lien de subordination et par conséquent, un tel contrat ne peut pas être considéré comme un contrat individuel de travail.
Cette analyse est fondamentale pour distinguer les relations de travail des mandats sociaux dans le cadre des litiges internationaux, en tenant compte de la capacité d’influence et du pouvoir réel exercés par le dirigeant.
Enfin, l’arrêt illustre l’articulation entre le droit national et le droit européen, en soulignant que, pour garantir l’harmonisation et la cohérence dans l’application du droit de l’Union européenne, des notions comme celle de "contrat individuel de travail" doivent être interprétées de manière autonome et uniforme dans tous les États membres.
Cela signifie que, même si chaque pays a ses propres règles et traditions juridiques, ces spécificités nationales ne peuvent pas être utilisées pour donner un sens différent à des concepts définis dans des textes européens tels que le règlement Bruxelles I bis.
L’objectif est de prévenir les divergences entre les États membres qui pourraient compromettre la sécurité juridique ou créer des inégalités.
Source.