[Point de vue] Le dérangeant statut de victime. Par Tristan Berger, Avocat et Christel Petitcollin.

[Point de vue] Le dérangeant statut de victime.

Par Tristan Berger, Avocat et Christel Petitcollin.

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Explorer : # victim blaming # présomption d'innocence # violences conjugales # écoute des victimes

Ce que vous allez lire ici :

La société peine à extraire les victimes de violences de leur culpabilité, favorisant un mécanisme de «victim blaming». Les témoignages des victimes doivent être mieux accueillis pour garantir leur guérison. Le droit français dénonce également les abus procéduraux, tout en insistant sur le respect des droits des victimes.
Description rédigée par l'IA du Village

Malgré les discours de principe en faveur des victimes, la société peine encore à leur accorder écoute, reconnaissance et respect.

Dans un article croisé à deux voix, cet article explore les mécanismes insidieux du victim blaming, la violence institutionnelle secondaire, les fantasmes autour de la "bonne victime" et les dérives de l’inversion accusatoire.

Entre analyse psychologique et précision juridique, il s’agit d’interroger nos réflexes collectifs, les biais de perception dans le traitement des plaintes, et la nécessité d’un équilibre exigeant entre protection des victimes et respect des droits de la défense.

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Christel Petitcollin :

En apparence et en principe, la société condamne toutes les violences et protège ses citoyens. Mais dans les faits, des carences d’empathie institutionnelle persistent encore trop souvent dans la prise en charge des personnes vulnérables. Lorsqu’une victime vient demander réconfort, secours et justice, les données s’inversent insidieusement et c’est elle qui se retrouve rapidement sur la sellette.

Ce mécanisme est apparu particulièrement flagrant lors de procès très médiatisés comme les viols de Mazan ou le procès de Gérard Depardieu. Certains arguments de la défense, perçus par l’opinion comme attentatoires à la dignité des plaignantes, ont suscité un vif débat public. Le récent documentaire sur l’affaire Bertrand Cantat démontre également comment l’accusé a chargé sa victime pour se dédouaner : c’est elle qui a commencé, elle était folle, hystérique, droguée et volage. Bref, à l’entendre, Marie Trintignant était responsable de sa propre mort. A l’époque, ce discours avait remporté une certaine adhésion.

Aujourd’hui, un mot émerge pour qualifier ce phénomène : le « victim blaming » qui consiste à démontrer à tout prix que la victime n’est pas celle qu’elle prétend être : elle ment, elle est folle, elle veut nuire à un honnête homme ou alors, elle a bien cherché ce qui lui est arrivé !

Encore récemment, le « victim blaming » ne choquait pas grand monde car dans l’inconscient collectif, la victime n’est jamais innocente. De fait, la présomption d’innocence de l’accusé peut parfois entrer en tension avec le besoin de reconnaissance et de crédibilité de la parole des victimes.

Tristan Berger :

En droit français, aucune présomption légale de véracité n’est accordée systématiquement à la parole des victimes. Le principe de présomption d’innocence est central dans notre système judiciaire, comme le rappelle explicitement l’article préliminaire du Code de procédure pénale. Concrètement, cela signifie que l’accusation doit apporter la preuve des faits, sans qu’aucune déclaration de victime puisse constituer, à elle seule, une preuve irréfutable. Ainsi, une condamnation pénale ne peut reposer exclusivement sur les déclarations d’une victime, mais doit être étayée par un faisceau d’indices concordants (Cass. crim., 3 déc. 2003, n° 02-87.139).

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme souligne que la présomption d’innocence ne se réduit pas à une simple garantie procédurale : elle protège aussi l’honneur et la réputation de la personne poursuivie (CEDH, 24 mai 2011, Konstas c. Grèce, req. n° 53466/07, § 32). Elle impose aux autorités publiques, y compris judiciaires, de s’abstenir de toute déclaration prématurée sur la culpabilité d’un prévenu avant qu’un jugement définitif ne soit rendu (CEDH, 10 févr. 1995, Allenet de Ribemont c. Belgique, req. n° 15175/89, § 35-36).

Toutefois, cette exigence ne saurait se traduire par une suspicion systématique à l’encontre des victimes, en particulier dans les affaires de violences sexuelles ou conjugales, souvent marquées par l’absence de preuves directes et une situation de « parole contre parole ».

Dans ce contexte, le témoignage de la victime peut constituer un élément déterminant, et il appartient au juge d’en assurer le traitement respectueux, sans pour autant renverser la charge de la preuve (articles 23 et 24 de la directive 2012/29/UE). La Cour européenne des droits de l’homme rappelle que l’exigence du procès équitable, garantie par l’article 6 de la Convention, impose de concilier les droits de la défense avec la nécessaire prise en compte de la parole des victimes. Le juge se trouve ainsi au cœur d’une mission d’équilibre délicate, entre garanties procédurales et reconnaissance effective du préjudice subi.

I. Vision voltairienne ou rousseauiste de la victime.

Christel Petitcollin :

Cette idée que la victime est coupable de ses propres ennuis est tellement répandue dans tous les domaines qu’on occulte presque les agissements des agresseurs et qu’on se montre systématiquement suspicieux avec les victimes.

Tu as été violée ? Que faisais-tu dehors à cette heure-là ? Quels vêtements portais-tu qui ont aguiché le violeur ? Tu es battue par ton mari ? Pourquoi restes-tu avec lui ? Qu’as-tu fait pour l’énerver ? Tu es harcelé à l’école ou au boulot ? Comment se fait-il que tu ne saches pas t’intégrer ?

Derrière cet étrange raisonnement se cache une philosophie.

Pour Voltaire, Dieu n’existe pas. La vie est donc une suite d’aléas. La sécurité est une illusion. Personne ne peut se prétendre à l’abri du malheur. Il peut tout arriver à n’importe qui, à n’importe quel moment. Cette vision de la vie, bien que très réaliste, est assez angoissante.

Pour Jean-Jacques Rousseau, Dieu existe et de surcroît, il est juste et bon. Cela crée une illusion positive naïve, certes, mais très réconfortante : comme je le vénère, Dieu me protège. Si je suis bon, je mérite de vivre de bonnes choses. Et comme la vie est juste, chacun a ce qu’il mérite.

C’est pourquoi, en cherchant en quoi l’autre est coupable de son malheur, nous cherchons avant tout à nous rassurer : ça ne peut pas m’arriver ! Alors, en guise de compassion, les victimes reçoivent une pluie de conseils et de critiques. « Mais quelle idée as-tu eu de… ! », « Moi, à ta place, je… ».

En faisant la morale à l’éprouvé, nous cherchons à nous convaincre que nous saurions quoi faire pour nous protéger de ce qui lui est arrivé. C’est aussi pour cela que les victimes de traumatismes sont mises à l’écart de la société. Leur détresse est porteuse d’un terrible message : nos croyances positives ne sont qu’illusions. Nous ne sommes pas plus à l’abri qu’elles.

II. Le mythe de la « bonne » victime.

Christel Petitcollin :

Pour compléter le tableau, il existe dans l’inconscient collectif un mythe de la « bonne » victime qui permet de refuser ce statut à la personne agressée et de lui démontrer qu’elle n’est vraiment pas la victime idéale, souvent pas même une victime acceptable. Il suffit de fouiller dans son passé.

Comme nous avons tous nos imperfections, nos moments de colère, nos erreurs de parcours, il sera facile de trouver la faille et de lui lancer à la figure ses petits défauts comme s’ils étaient aussi condamnables que les actes de son agresseur. Et on retrouve l’illusion que si la victime avait été parfaite, c’est-à-dire si elle n’avait fait. Aucune erreur, il ne lui serait rien arrivé.

Le plus grave est qu’il n’y a pas d’issue à ce cliché : quand bien même la victime serait « parfaite » au regard du mythe, on la traiterait alors d’oie blanche stupide et pas dégourdie.

Tristan Berger :

La Cour de cassation insiste régulièrement sur le fait que la reconnaissance du statut de victime ne peut en aucun cas être conditionnée par des critères moraux ou sociaux, écartant ainsi tout risque de discrimination ou de stigmatisation basé sur des stéréotypes [1].

Il peut, par exemple, sembler évident, en droit, que toute personne non consentante à un acte sexuel de pénétration est une victime de viol, qu’importe son activité, son passé ou son statut. Et pourtant, la Cour de cassation a dû rappeler, à plusieurs reprises, que des personnes pratiquant la prostitution qui ne consentent pas à un rapport sexuel sont victimes de viol, et que lorsque les agresseurs sont des policiers il s’agit d’une circonstance aggravante supplémentaire [2].

La reconnaissance juridique du statut de victime exige uniquement la démonstration objective d’un préjudice personnel, direct et certain résultant d’une infraction pénale, sans considération subjective du comportement, du passé, du travail, de la vie de la personne concernée [3].

Ainsi, aucune notion telle que celle de « bonne victime » ou de victime idéale ne trouve d’écho juridique en droit français. Cette neutralité est d’autant plus cruciale que les stéréotypes sociaux et moraux pourraient nuire gravement à l’équité du procès pénal, en portant atteinte à la dignité des personnes et en risquant d’affecter l’impartialité de la justice. Ainsi, seule la réalité et l’étendue du dommage subi sont prises en compte pour la reconnaissance du statut de victime.

III. Écoute, compassion et empathie aux abonnés absents.

Christel Petitcollin :

Une victime doit pouvoir se raconter en sécurité pour dépasser la honte, la peur et la culpabilité qui la paralysent. C’est nécessaire à sa guérison, c’est aussi la meilleure prévention du suicide. Mais pour ce faire, elle doit rencontrer chez son interlocuteur une écoute de très haute qualité, pleine de bienveillance et d’humanité. Dans un groupe sain, chacun devrait être capable d’entendre la souffrance de l’autre et d’y réagir avec des paroles d’accueil et d’apaisement.

Mais dans notre société déshumanisée, de plus en plus de gens pensent que partager son malheur est inapproprié parce que ça pollue les autres. Les victimes elles-mêmes savent que pour beaucoup, leur récit est insoutenable. Boris Cyrulnik relève la difficulté des victimes à oser exprimer leur détresse, de peur d’entraîner leurs proches dans leur enfer, mais curieusement, il ne dénonce pas en retour l’incapacité des proches à accueillir cette souffrance.

À force de déléguer à des « spécialistes » tous les aspects humains de notre existence : naissance, mort, maladie, accident, agression…, aurait-on évolué vers une société dans laquelle l’émotion et l’écoute directe semblent reléguées au second plan ? Il serait urgent de former nos semblables à l’écoute et à l’empathie, et ce dès l’école primaire.

Les badauds, les voisins ne sont émus que s’ils peuvent s’identifier au drame : « C’aurait pu être moi ! » disent-ils les larmes aux yeux ou « Moi aussi j’ai des enfants ! » Alors, en attendant des humains plus compatissants, les victimes devront se contenter de ce processus d’identification, somme toute très égocentrique.

Tristan Berger :

Dans ma pratique d’avocat, il m’est arrivé d’accompagner des victimes qui, dès la première plainte, se sont heurtées à des silences, des regards éteints ou des remarques déplacées. L’absence d’accueil humain ne laissait parfois aucune trace dans la procédure, mais elle avait déjà creusé une brèche dans la confiance. Un simple "je vous écoute" n’a pas de valeur juridique, mais un silence glacial peut avoir un effet ravageur. C’est là que se joue la frontière invisible entre l’écoute et le découragement.

En droit français, il n’existe pas d’obligation générale d’écoute des victimes. Toutefois, des dispositifs spécifiques prévoient un accueil renforcé dans certaines situations, notamment pour les victimes de violences conjugales ou intrafamiliales. L’article 515-9 du Code civil prévoit ainsi des mesures de protection urgentes, comme l’ordonnance de protection, qui doivent être accompagnées d’une écoute attentive et d’un soutien adapté. Le ministère de la Justice a également diffusé plusieurs circulaires rappelant la nécessité d’une écoute active et bienveillante par les services de police, de gendarmerie et les juridictions, en cohérence avec la directive européenne 2012/29/UE relative aux droits des victimes.

En complément, il convient de rappeler que les forces de l’ordre ont l’obligation légale de recevoir les plaintes, sans pouvoir en apprécier l’opportunité. Le refus de prise de plainte peut faire l’objet d’un recours, soit par saisine du procureur, soit via des plateformes de signalement, ou encore le dépôt au greffe du tribunal judiciaire compétent (Voir l’article Agression sexuelle : comment déposer plainte ?).

Si l’absence d’écoute ou l’attitude disqualifiante d’un agent porte atteinte aux droits fondamentaux de la victime - dignité, accès au droit, non-discrimination -, cela peut être qualifié d’atteinte à la dignité (art. 225-1 et 225-2 du Code pénal), voire de traitement dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, comme l’a rappelé la CEDH dans plusieurs arrêts [4]. La jurisprudence impose donc une vigilance particulière à l’accueil réservé aux personnes vulnérables.

Une écoute bienveillante ne signifie pas que l’on renverse la charge de la preuve ou que l’on suppose la culpabilité d’une autre partie. Écouter consiste à accueillir un récit humain, avec respect et neutralité, tandis que croire engage un jugement. Cette dissociation entre reconnaissance humaine et investigation judiciaire est fondamentale : elle permet de garantir aux victimes un accueil digne sans pour autant fragiliser les droits de la défense.

IV. L’inversion accusatoire.

Christel Petitcollin :

Aussi archaïque que le « C’est celui qui dit qui l’est ! » de la cour de récréation, l’inversion accusatoire consiste à accuser l’autre de ce qu’on lui fait subir ou à inverser les causes et les effets. Elle est folle (parce qu’il la rend folle), hystérique (parce qu’il la pousse à bout), ou dépressive (parce qu’il lui fait vivre un enfer).

Chez les manipulateurs, l’inversion accusatoire est bien rodée. C’est même un automatisme. Prem’s ! pourraient-ils s’écrier. En vous accusant le premier, ils vous coupent l’herbe sous le pied. C’est ainsi que j’ai récemment eu plusieurs témoignages de victimes dans ce sens. Le mari violent s’est rué au commissariat pour porter plainte pour violences conjugales contre la femme qu’il venait de tabasser.

A priori, l’inversion accusatoire fonctionne très bien : dans plusieurs dossiers récents, des femmes victimes de violences ont vu leur parole contestée par des plaintes croisées, parfois anticipées, et se sont retrouvées sanctionnées malgré leur statut de victimes initiales. Ces cas illustrent les limites actuelles du traitement judiciaire des dynamiques de domination dans le couple. La mauvaise foi est tellement difficile à démontrer !

Tristan Berger :

Ces logiques de déni, d’inversion accusatoire ou de suspicion ne se limitent pas aux affaires de violences sexuelles ou conjugales. On les retrouve aussi dans des contextes variés : harcèlement scolaire, burn-out professionnel, discriminations, violences médicales ou encore dans le traitement des lanceurs d’alerte. Dans chacun de ces cas, la victime doit lutter non seulement pour faire reconnaître les faits, mais aussi pour défendre sa légitimité à se dire victime.

C’est précisément dans ces situations que survient un phénomène désormais bien documenté : la victimisation secondaire. Celle-ci désigne l’ensemble des blessures psychologiques infligées à une victime non par l’auteur des faits, mais par les institutions ou l’environnement censés la protéger : police, justice, administration, entreprise, médias, proches, etc. Ce phénomène est aujourd’hui juridiquement reconnu.

Le droit sanctionne fermement les pratiques d’inversion accusatoire. La dénonciation calomnieuse est punie par l’article 226-10 du Code pénal d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende. En matière civile, l’article 32-1 du Code de procédure civile permet de condamner une partie à une amende civile pour procédure abusive.

Mais la jurisprudence est constante : ces sanctions ne peuvent être prononcées qu’en cas de caractérisation précise d’une faute, d’une intention malveillante ou d’une légèreté blâmable. La Cour de cassation rappelle régulièrement cette exigence (C. cass., Ch. civ. 2, 21 décembre 2023, 22-19.100 22-19.314, Inédit ; Cour de cassation, Chambre civile 3, 13 juillet 2023, 22-13.693, Inédit).

Les réformes récentes, telles que la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, ont renforcé les moyens de lutte contre les abus de procédure. L’affaire Farid El Haïry, quant à elle, reste l’un des exemples les plus saisissants des conséquences tragiques d’une procédure instrumentalisée.

Car le statut de victime, s’il doit être respecté et protégé, peut aussi faire l’objet de manipulations. Dans certains cas, il est revendiqué de manière stratégique ou détournée, ce qui brouille les repères et nuit aux véritables victimes. Ce phénomène mérite une attention particulière, car il complexifie l’accès à la vérité judiciaire et peut décrédibiliser des souffrances réelles. Ce sont précisément les exigences de preuve, les garanties procédurales et le respect du contradictoire qui permettent de distinguer une souffrance réelle d’une mise en scène opportuniste.

C’est aussi pourquoi il importe de bien distinguer les registres : l’avocat n’est pas là pour valider une émotion ou poser un diagnostic, mais pour défendre une position juridique. Ce travail peut - et doit souvent - s’articuler avec un accompagnement psychologique, qui relève d’une autre temporalité, d’un autre langage.

V. Le triangle dramatique de Stephan Karpmann.

Christel Petitcollin :

Cette usurpation du rôle de victime nous amène tout droit aux jeux psychologiques du triangle dramatique [5]. Au dévoilement ou au dépôt de plainte, on assiste à une surenchère de victimisation. Dans ce triangle dramatique, les protagonistes jouent aux chaises musicales : chacun essaie de faire tomber l’autre de sa chaise pour s’octroyer le trône de l’impunité. « Tu me fais souffrir avec ta souffrance ! », « Tu détruis une famille unie avec tes accusations ! »

Mais comme les manipulateurs sont des professionnels du triangle, quand leurs victimes n’en sont de piètres joueurs, elle perdront systématiquement la partie. Car bizarrement, une mise en scène émotionnelle pourtant surjouée peut parfois susciter davantage d’empathie que le récit sobre et douloureux d’une souffrance réelle, ce qui interroge notre perception collective de la légitimité.

VI. Fragiliser un peu plus la victime.

Christel Petitcollin :

Le statut de victime est délicat. La personne agressée ou lésée a besoin d’être reconnue victime et innocente pour sortir de la culpabilité et de la honte. Cela fait partie d’un processus de réhumanisation vital. Si la société refuse de lui accorder ce statut, la victime restera en marge de l’humanité, dans un mode de survie extrêmement précaire.

L’injustice est une violence supplémentaire qui empêche la cicatrisation. Et si la victime s’entête à essayer de faire reconnaître sa souffrance, on finira par la taxer de « dolorisme », c’est-à-dire qu’elle sera accusée d’exhiber sa souffrance pour être plainte et applaudie. C’est un véritable cercle vicieux, particulièrement pervers. Le statut de victime non validé peut devenir un enlisement.

Notre société a un gros problème avec ce concept de victime. Les dégâts psychologiques sont minorés, le stress post traumatique dont les symptômes sont pourtant très handicapants sont ignorés. La société saura-t-elle un jour rompre avec les logiques de domination psychologique et garantir un accueil réellement protecteur aux personnes fragilisées ?

Néanmoins, ces dernières années, les mentalités évoluent indéniablement. Mais cela prendra encore du temps.

Alors en attendant que nous fassions tous notre examen de conscience sur la façon dont nous percevons les victimes de notre entourage, voici la porte de sortie que j’offre à celles que j’accompagne lorsqu’elles n’ont pu obtenir aucune reconnaissance : oui, vous avez été victime. Oui, vous avez subi un préjudice considérable. Mais vous allez en guérir quand même et laisser tout ce malheur derrière vous, parce que votre âme est plus forte et plus lumineuse que cette minable tentative de destruction et ce qui vous a presque détruit(e) ne vous définira pas.

Tristan Berger :

Sur le plan juridique, cette progression passe par un respect rigoureux du contradictoire, par la sanction ferme des abus procéduraux, et par le développement d’une véritable culture de la preuve à destination des victimes. Trop souvent, des personnes sincèrement blessées arrivent au tribunal désarmées, sans connaître les exigences de preuve ni les codes du procès. Ce désarmement n’est pas une faute : c’est le reflet d’un manque d’information.

D’où l’importance, comme nous l’avons souligné avec Christel Petitcollin dans un précédent article Le pré-contentieux, comment s’armer face aux personnes toxiques : école, famille, travail, d’accompagner les victimes en amont, pour leur permettre de documenter les faits et de se faire entendre dans un cadre juridique structuré. Car à défaut de preuve, le procès peut devenir une arène impitoyable.

Les victimes doivent aussi savoir que ce que nous appelons « vérité » au tribunal n’est jamais qu’un récit crédible, fondé sur les preuves, les témoignages, et l’intime conviction du juge. Un récit parmi d’autres possibles. Une vérité « judiciaire », imparfaite sans doute, mais qui s’efforce de tendre vers la réalité. La juriste américaine Alexandria Marzano-Lesnevich écrit à cet égard dans L’Empreinte [6] : « Le droit ne trouve pas davantage le commencement qu’il ne trouve la vérité. Il crée une histoire. Cette histoire a un commencement. Cette histoire simplifie les choses, et cette simplification, nous l’appelons vérité. »

Cette phrase m’a profondément marqué. Elle a résonné en moi bien au-delà du droit, jusque dans des zones longtemps tues. Car je sais, pour l’avoir vécu, ce que signifie habiter le silence d’une vérité restée enfouie. Et elle m’a rappelé combien il est crucial, pour celles et ceux qui cherchent justice, de savoir où ils mettent les pieds : de comprendre ce qu’est un procès, et ce qu’il n’est pas.

Et pour bien comprendre ce qu’est un procès, il faut aussi comprendre ce qu’est, et ce que n’est pas, le rôle de l’avocat. Car les avocats, dans cette arène codifiée, ne font rien d’autre que leur travail : chacun s’appuie sur la version des faits la plus favorable à la cause du justiciable qu’il est chargé de défendre. C’est l’essence du contradictoire.

Mais cette défense doit s’exercer avec dignité, conscience, indépendance, probité, humanité. Et en ce sens, ma conviction est que le cœur du procès doit rester la recherche sincère de ce qui s’est réellement passé, avec rigueur, loyauté dans les débats, et vigilance quant aux effets produits sur celles et ceux qui ont souffert.

Christel Petitcollin
Auteure de plusieurs ouvrages sur la manipulation mentale :
"Échapper aux manipulateurs, les solutions existent"
"Divorcer d’un manipulateur, un emploi à plein temps"
(éd. Guy Trédaniel)
Et Tristan Berger
Avocat à la Cour
Barreau de Paris
Docteur en Droit

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Notes de l'article:

[1Cass. crim., 23 févr. 2011, n° 10-80.915 https://justice.pappers.fr/decision/08a4136a53d4ca8cc101bda79f5053b8e1bbbb34, RCA 2011. Comm. 166 ; Cass. crim., 3 mars 2015, n° 13-88.514, AJ pénal 2015. 432.

[2Cass. crim., 20 juill. 2011, n° 11-83.202 ; Cass. crim., 20 mars 2013, n° 12-82.520, voir aussi : art. 222-24 alinéa 13 du Code pénal

[3Cass. crim., 5 mai 1971, Bull. crim. n° 137 ; Cass. crim., 12 oct. 1995, Bull. crim. N° 307.

[4CEDH, 28 octobre 1998, Aydin c. Turquie.

[5Lire Victime, bourreau, sauveur Comment sortir du piège de Christel Petitcollin aux éditions Jouvence.

[6A. Marzano-Lesnevich. L’Empreinte. Traduit de l’anglais par Héloïse Esquié. Paris : Sonatine, 2019.

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