Le droit à l’image des enfants "influenceurs" : entre exposition médiatique et protection juridique en Europe.

Par Eykis Garcia Diaz, Avocate.

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Explorer : # droit à l'image # protection des mineurs # autorité parentale # vie privée

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L'article traite des enjeux juridiques et psychologiques liés au droit à l'image des enfants, particulièrement dans le contexte des influenceurs. Il souligne l'importance du consentement parental, les risques d'exposition précoce et les responsabilités des plateformes numériques pour protéger les mineurs. Les décisions judiciaires en Europe renforcent ces protections.
Description rédigée par l'IA du Village

À l’ère du numérique, où l’intimité s’expose en un clic, une question cruciale émerge : jusqu’où peut-on exposer un enfant sur les réseaux sociaux ?
Le développement fulgurant des réseaux sociaux a vu naître une catégorie singulière de personnalités en ligne : les enfants "influenceurs". Parfois mis en scène quotidiennement par leurs parents, ces mineurs voient leur image exploitée à des fins souvent commerciales.
Face à cette nouvelle réalité numérique, la question du droit à l’image des enfants, et de leur protection, devient centrale. Une citation de la Cour européenne des droits de l’homme résume bien cet enjeu : « L’enfant est une personne à part entière, titulaire de droits fondamentaux qui doivent primer sur toute considération économique ou médiatique ».

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I. Le cadre juridique européen : entre droit à l’image et intérêt supérieur de l’enfant.

Le droit à l’image est une composante du droit au respect de la vie privée, reconnu tant au niveau national qu’européen. En France, il repose sur les articles 9 du Code civil et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Le Règlement général sur la protection des données (RGPD) consacre également des garanties fortes pour les mineurs, imposant un consentement parental pour le traitement de leurs données à caractère personnel (article 8 RGPD).

Dans ce contexte, le principe du "double consentement" s’impose : celui des titulaires de l’autorité parentale, mais aussi celui de l’enfant s’il est en mesure de discerner les conséquences de la diffusion de son image. Plusieurs États européens, tels que l’Allemagne ou l’Espagne, prévoient des protections similaires.

La Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), dans son article 3, impose que l’intérêt supérieur de l’enfant prévaut dans toute décision le concernant, y compris en matière de diffusion de contenus le représentant.

Les plateformes telles que YouTube, Instagram ou TikTok ont une responsabilité croissante en matière de protection des mineurs. Si elles prévoient des systèmes de signalement et de contrôle parental, celles-ci restent largement insuffisantes face à la multiplication des contenus mettant en scène des enfants.

Le RGPD impose à ces acteurs de vérifier l’existence du consentement parental pour tout traitement de données personnelles concernant un enfant de moins de 15 ans en France. Toutefois, dans la pratique, la vérification est rarement efficace.

France - Loi n° 2020-1266 du 19 octobre 2020 (Loi sur les enfants influenceurs).

La loi impose désormais un cadre juridique précis : les parents doivent demander une autorisation administrative avant de diffuser des vidéos de leurs enfants de moins de 16 ans à des fins de monétisation sur des plateformes telles que YouTube, TikTok ou Instagram [1]

Les parents doivent également déposer une partie des revenus générés sur un compte bloqué jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant. En cas de non-respect de ces obligations, des sanctions peuvent être appliquées, incluant des amendes pouvant atteindre 75 000 € et des peines de prison pouvant aller jusqu’à 5 ans.

Ces décisions illustrent l’évolution de la jurisprudence européenne en matière de protection du droit à l’image des enfants influenceurs, mettant en évidence la nécessité d’un consentement éclairé des parents et de l’enfant, ainsi que l’importance de préserver l’intérêt supérieur de l’enfant dans le contexte numérique.

II. Jurisprudence et encadrement administratif.

En France, la jurisprudence a été amenée à se positionner sur la protection de la vie privée des mineurs. Dans un arrêt du 12 avril 2012 (CA Paris) [2], la cour a jugé qu’un père ne pouvait publier des photos de son fils sur Facebook sans l’accord de la mère, s’agissant d’un acte important relevant de l’exercice conjoint de l’autorité parentale.

Cette décision constitue un arrêt phare en matière de protection de la vie privée des mineurs à l’ère numérique. La Cour d’appel de Paris a jugé qu’un père ne pouvait pas publier sur Facebook des photographies de son fils sans le consentement de la mère, soulignant que la diffusion de l’image d’un mineur constitue un acte important engageant l’exercice conjoint de l’autorité parentale.

Ce jugement confirme ainsi le principe selon lequel l’autorité parentale est partagée et que toute décision majeure concernant la représentation publique d’un enfant, notamment par la diffusion de son image sur Internet, doit faire l’objet d’un accord entre les titulaires de cette autorité. La cour rappelle aussi que le droit à l’image s’inscrit dans le cadre plus large du droit au respect de la vie privée, protégé par l’article 9 du Code civil et l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme [3].

L’affaire met en lumière l’importance de prendre en compte la spécificité de l’environnement numérique : la publication sur un réseau social comme Facebook implique une diffusion massive, potentiellement incontrôlable, qui peut porter atteinte à l’intimité et à la protection du mineur.

Cette jurisprudence anticipe ainsi la problématique des enfants influenceurs, pour lesquels la diffusion répétée et à large audience de leur image soulève des questions complexes de consentement et de respect de leur vie privée.

En somme, cet arrêt illustre l’application concrète de l’intérêt supérieur de l’enfant dans le domaine numérique, imposant une concertation stricte entre parents et une vigilance accrue quant à la protection des droits fondamentaux du mineur.

Plus récemment, l’ARCOM (ex-CSA) a alerté sur les risques d’exploitation des enfants sur les chaînes familiales YouTube. Cette autorité a émis des recommandations concernant l’encadrement du temps d’apparition des mineurs, leur rémunération et le respect de leur droit à l’éducation et à la vie privée.

Aux Pays-Bas - Tribunal de La Haye, 1ᵉʳ octobre 2018 [4].

Le Tribunal de La Haye a ordonné à une influenceuse de retirer définitivement de ses réseaux sociaux toutes les photographies représentant ses enfants âgés de 2 et 4 ans. Cette décision fait suite à une action en justice intentée par le père, qui estimait que l’exposition publique de leurs enfants violait leur droit fondamental à la vie privée et pouvait engendrer des conséquences préjudiciables pour leur développement futur.

Le tribunal a insisté sur la nécessité d’un accord parental conjoint pour toute diffusion publique de l’image d’un enfant mineur, rappelant que l’intérêt supérieur de l’enfant devait prévaloir sur toute intention de communication ou de monétisation.

En cas de désaccord, la meilleure solution pour l’intérêt des enfants était de retirer ces contenus, car ils représentaient une menace pour leur droit à la vie privée, notamment en raison de leur jeune âge et de leur incapacité à apprécier les conséquences de leur présence en ligne. Une amende de 500 € par jour d’infraction, jusqu’à un maximum de 25 000 €, a été imposée en cas de non-respect de l’ordonnance [5]

III. Les risques psycho-sociaux d’une exposition précoce.

Outre les enjeux juridiques, l’exposition médiatique des enfants entraîne des conséquences psychologiques : perte d’intimité, difficultés à construire une identité autonome, exposition aux commentaires haineux, etc. Certains enfants ont exprimé, en grandissant, le souhait de supprimer ces contenus, sans y parvenir facilement.

Des psychologues en Europe alertent sur les troubles potentiels liés à une exposition précoce en ligne. La Dr. Catherine Audibert, psychanalyste française, souligne que « l’enfant devient un objet de valorisation narcissique pour ses parents, ce qui peut altérer son développement psychique et brouiller les repères entre vie privée et espace public ».

En Espagne, la psychologue pour enfants Marta Prada note que « les enfants influenceurs peuvent développer une anxiété de performance, une peur du jugement extérieur, et des troubles de l’estime de soi dès l’âge de 6 ou 7 ans ».

Ces constats sont corroborés par une étude du Conseil norvégien pour la protection de l’enfance, qui met en garde contre la confusion entre reconnaissance affective et validation sociale numérique.

Par ailleurs, plusieurs associations européennes de pédopsychiatrie, comme la  Bundesarbeitsgemeinschaft für Kinder- und Jugendpsychiatrie  (Allemagne), appellent à une régulation stricte, pointant un « risque de construction d’une identité façonnée par le regard virtuel des autres, et non par l’expérience réelle de l’enfant ».

En cas de désaccord entre les titulaires de l’autorité parentale relatif à la diffusion de l’image de leur enfant mineur, les juridictions tant nationales qu’européennes, peuvent être saisies afin de trancher le litige dans le strict respect de l’intérêt supérieur de l’enfant, principe cardinal reconnu par la Convention internationale des droits de l’enfant.

La jurisprudence constante, qu’elle émane des tribunaux français, néerlandais ou encore de la Cour européenne des droits de l’homme, rappelle que l’exposition publique et répétée d’un enfant sur les réseaux sociaux est susceptible de constituer une atteinte grave à ses droits fondamentaux, notamment au droit au respect de la vie privée.

En toute hypothèse, cette exposition ne saurait être justifiée par des considérations d’ordre patrimonial, médiatique ou économique, fussent-elles invoquées par les représentants légaux de l’enfant.

Bibliographie.

  • Audibert, Catherine, L’Enfant et l’image de soi, Dunod, 2021
  • Article de Cuatrecasas sur le sujet (en anglais)
  • BAG KJP Report (Allemagne), 2022
  • Barneombudet Report (Norvège), 2021
  • CA Paris, 12 avril 2012, n° 11/00669 (11/08588)
  • Code civil français, article 9
  • Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), art. 3
  • Cour EDH, Affaire Y. c. Russie, 4 décembre 2008, n° 40378/06
  • Étude CNIL sur le droit à l’effacement et le consentement des mineurs (2021)
  • Loi n° 2020-1266 du 19 octobre 2020
  • Site Politico Eumerlin [6]
  • Prada, Marta, El País, 15 mars 2022
  • Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil (RGPD)
  • Recommandations de l’ARCOM sur les enfants influenceurs (2022)
  • Tribunal de La Haye, 28 novembre 2018, ECLI:NL:RBDHA:2018:13105
  • Tribunal américain, suppression des photos d’enfants sur les réseaux sociaux.

Eykis Garcia Diaz
Avocate à la Cour
Barreaux de Paris et Saint-Domingue

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Notes de l'article:

[3Tribunal judiciaire de Paris, 15 novembre 2023.

[4ECLI:NL:RBDHA:2018:13105.

[6politico.eumerlin.obs.coe.int

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