Précisions sur la circulation du divorce sans juge au sein de l’Union Européenne.

Par Christopher Jacquet-Cortès, Avocat.

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Explorer : # divorce par consentement mutuel # reconnaissance internationale # droit européen # sécurité juridique

Par un arrêt du 20 décembre 2017, la Cour de Justice de l’Union Européenne a exclu les divorces privés du champ d’application du Règlement n° 1259/2010 dit Rome III.
Cette décision a de lourdes conséquences sur la circulation du nouveau divorce par consentement mutuel français au sein de l’U.E.

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Le divorce par consentement mutuel a récemment subi de profondes mutations jusqu’à aboutir à une procédure complétement déjudiciarisée.
Si celle-ci présente des avantages certains, elle pose également de sérieuses difficultés s’agissant de la circulation de ses effets à l’étranger. Le divorce sans juge n’est pas une institution inconnue des droits étrangers (droit coranique par exemple). Pour autant, il reste très minoritaire voire rare dans les ordres juridiques des États membres de l’UE.

Ainsi, se pose inévitablement la question de la reconnaissance ou non du divorce par consentement mutuel dans les autres États et particulièrement au sein de l’UE.

L’UE s’est quant à elle dotée d’un instrument permettant de désigner la loi applicable au divorce, le Règlement 1259/2010 du 20 novembre 2010 (Règlement Rome III). La complète déjudiciarisation du divorce par consentement mutuel en France a alors soulevé la question de savoir si ce règlement pouvait être applicable au divorce sans juge.

La CJUE est récemment venu y répondre à l’occasion d’un arrêt rendu le 20 décembre 2017 (CJUE, 20 déc. 2017, n° C-372/16, Sahyouni ).

L’arrêt Sahyouni.

La Cour était saisie d’une question préjudicielle formulée par une juridiction allemande : le Tribunal régional supérieur de Munich ("Oberlandesgericht München"). Le juge allemand devait trancher la question de la reconnaissance d’un divorce de droit syrien (prononcé unilatéralement par le mari) et se demandait donc s’il devait se référer aux règles du règlement Rome III pour vérifier que la loi syrienne était bien applicable à ce divorce.

Plus précisément, l’une des questions soumises à la CJUE était la suivante : «  les cas de divorce privé, en l’occurrence celui sur déclaration unilatérale d’un des époux devant un tribunal religieux syrien sur le fondement de la charia, entrent-ils aussi dans le champ d’application visé à l’article 1er du [règlement n° 1259/2010] ? ».

La juridiction européenne a répondu par la négative indiquant ainsi que : « un divorce résultant d’une déclaration unilatérale d’un des époux devant un tribunal religieux, tel que celui en cause au principal, ne relève pas du champ d’application matériel de ce règlement ».

A la seule lecture de cette réponse, il serait aisé d’affirmer que la solution donnée par la CJUE se limite exclusivement au cas du divorce unilatéral syrien. Cependant, la formulation de la question et, de façon encore plus claire, du raisonnement de la Cour permettent d’en déduire le contraire.
En effet, la question formulée par la juridiction allemande portait sur « les cas de divorce privé » et donc sur les divorces sans juge de manière générale.
Également, pour forger son opinion, la Cour a mis en avant le principe de cohérence du Droit européen en interprétant l’article 1er du Règlement Rome III à la lumière du texte du règlement 2201/2003 dit Bruxelles IIbis. Ce dernier règlement contient des règles de compétence et de reconnaissance en matière matrimoniale. Enfin, la Cour indique dans ses motifs que les champs d’application des règlements en question visent « exclusivement les divorces prononcés soit par une juridiction étatique soit par une autorité publique ou sous son contrôle ».

Dans ce contexte, la décision de la CJUE laisse peu de place au doute. Le champ d’application du règlement Rome III, tout comme celui du Règlement Bruxelles IIbis, exclut les divorces sans juge et par conséquent le divorce par consentement mutuel français.

Conséquences de cette décision.

Sans règles uniformes, la reconnaissance du divorce par consentement mutuel et l’appréciation de la compétence de la loi française pour le prononcer relèvent du droit national de chacun des États membres. La prévisibilité juridique de ces actes s’en retrouve donc affaiblie. Du reste, la décision d’uniformiser les modalités de reconnaissance du divorce sans juge relève, quant à elle, des organes politiques de l’UE (Commission et Parlement).

En pratique, cette décision au des effets sur les divorces présentant des éléments d’extranéité. La question de la reconnaissance se pose donc pour les couples ayant des intérêts à l’étranger, et, dès lors qu’un juge d’un États membres doit apprécier la validité de leur divorce.

Par exemple, dans le cas d’un ex-époux qui souhaiterait fixer sa résidence et celle des enfants dans un autre État membre, la non reconnaissance de l’acte de divorce pourrait créer une grave insécurité juridique quant au droit de garde.

A la lumière de cet arrêt, les époux ayant des intérêts à l’étranger et souhaitant opter pour un divorce par consentement mutuel devront nécessairement être informés de ces difficultés. Il semble en effet que leur consentement éclairé puisse être conditionné par cette information.

Christopher Jacquet-Cortès
Avocat à la Cour
Inscrit aux Barreaux de Paris et Barcelone
Brugueras, Alcántara & García-Bragado
email : cjacquet chez brugueras.com

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Discussions en cours :

  • Cette décision n’a rien de surprenante.
    J’ai évoqué ce sujet dans une interview à Paris Match du 6 Juillet 2017
    Cette réforme a omis totalement l’aspect international.
    Il faudrait que les Avocats des parties puissent d’un commun accord demander l’homologation par Jugement de la convention de divorce, sans comparution, sauf si le Juge l’estime nécessaire.
    Idée à faire circuler !
    Cela n’alourdirait pas la charge des Tribunaux .
    Notamment cela supprimerait les "faux divorces contentieux ", où un contentieux est engagé, avec toutes les étapes de la procédure de divorce et le temps que cela prend au niveau des juridictions , alors que les époux sont d’accord en réalité, et ce, pour avoir un jugement de divorce.

    • par Lucian , Le 1er septembre 2019 à 23:50

      Monsieur Christopher Jacquet-Cortès,

      Compte tenu de :

      1. Le rôle du notaire

      Le notaire est un juriste investi d’une mission d’autorité publique qui prépare des contrats sous la forme authentique pour le compte de ses clients.

      2. Procédure de divorce sans juge, mais avec un notaire

      Le dépôt auprès du notaire donnera date certaine et force exécutoire à la convention de divorce.

      3. Votre propos dans l’article

      "La Cour indique dans ses motifs que les champs d’application des règlements en question visent « exclusivement les divorces prononcés soit par une juridiction étatique soit par une autorité publique ou sous son contrôle ».

      Dans ce contexte, la décision de la CJUE laisse peu de place au doute. Le champ d’application du règlement Rome III, tout comme celui du Règlement Bruxelles IIbis, exclut les divorces sans juge et par conséquent le divorce par consentement mutuel français."

      4. L’article 46 du règlement Bruxelles II bis

      SECTION 5- RÈGLEMENT (CE) No 2201/2003 DU CONSEIL du 27 novembre 2003 (Bruxelles II bis)
      Actes authentiques et accords
      Article 46
      Les actes authentiques reçus et exécutoires dans un État membre ainsi que les accords entre parties exécutoires dans l’État membre d’origine sont reconnus et rendus exécutoires dans les mêmes conditions que des décisions.

      Avec tout mes respects, je suis persuade que votre conclusion est erronée, mais j’avoue que je peux me tromper.

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